Meuzelin toujours gouailleur, savez-vous, douce amie, que vous faites 
très piteux accueil à votre mari bien-aimé? 
Cette voix mordante et ironique galvanisa la femme terrifiée, qui bégaya péniblement: 
--Vous n'êtes pas mon mari! 
--Alors, ma toute belle, pourquoi m'avez-vous donc, devant cette brute de Labor, reconnu 
pour le comte de Méralec? 
--Non, vous n'êtes pas le comte de Méralec! prononça la comtesse avec une sorte de rage. 
--Parce que? fit Meuzelin. 
--Vous le savez bien. 
--Dites toujours, ma bonne Clotilde. 
Elle hésita et, enfin, exaspérée par un ricanement sardonique du gros homme, elle 
répondit: 
--Vous n'êtes pas M. de Méralec, puisque vous me reconnaissez pour votre femme. 
--Oh! oh! lâcha Meuzelin; savez-vous, ma charmante, que vous avez l'air d'avouer tout 
bonnement que vous n'êtes pas plus comtesse que je ne suis comte? 
Après un petit silence pendant lequel il attendit inutilement que Clotilde répondît, le
policier reprit: 
--Alors que suis-je donc? Pouvez-vous me l'apprendre? 
Elle remua négativement la tête. 
--Voulez-vous que je vous aide à trouver? proposa Meuzelin. J'ai, pour donner des idées 
aux gens, un procédé infaillible et bien simple. Je leur conte une histoire. 
Semblable à la bête faute qui, prise dans un piège, cesse de rugir pour ne pas attirer 
l'ennemi, madame de Méralec garda le silence, semblant guetter un mot qui lui donnât 
barre sur le personnage qui la persiflait. 
--Qui ne dit mot consent. Je vois que vous avez envie d'entendre mon histoire. Alors, je 
m'exécute, dit le policier. 
Et, aussitôt il commença: 
--Il y avait un jour un scélérat cruel et impitoyable qui se faisait surnommer 
Coupe-et-Tranche... 
Il s'arrêta et, se ravisant: 
--Non, non, dit-il, je débute mal dans mon récit. Je mets, comme on dit, la charrue devant 
les boeufs. 
Il parut se recueillir pour mieux préparer le commencement de sa narration, puis il reprit: 
--Il y avait une fois un général idiot, sorte de Lovelace de bas étage, en arrêt devant tous 
les jupons de femmes, dont la fatuité pyramidale faisait un splendide gobe-mouche, qui... 
que... 
Une seconde fois, Meuzelin interrompit sa phrase pour s'écrier: 
--Non, non, je me trompe encore. Mon nouveau début manque d'intérêt. 
Il se cacha le visage dans ses mains en homme qui cherche à coordonner ses idées. 
--Ah! ah! fit-il, enfin j'ai mon vrai point de départ! Écoutez-moi ça, comtesse. 
Et, d'une voix posée, il poursuivit: 
--Il y avait une fois un métayer nommé Cardeuc, à qui son extérieur, des moins 
séduisants, avait valu le sobriquet de Marcassin. 
Elle était déjà bien pâle, la jolie dame de Méralec. Au nom de Cardeuc, sa pâleur 
s'accentua pourtant encore. Sans paraître avoir remarqué l'effet produit, Meuzelin avait 
continué:
--Depuis deux cents ans, de père en fils, les Cardeuc avaient été les métayers des 
seigneurs de Brivière. Quand le dernier marquis du nom s'en alla en émigration, rejoindre 
sa jeune fille qui l'avait précédé en Allemagne, c'était le Cardeuc, le Marcassin, qui 
exploitait la métairie. Aimait-il beaucoup ses maîtres, ce descendant de tant de dévoués 
serviteurs des Brivière? La suite nous le dira. 
Peu à peu la comtesse s'était relevée de dessus sa couche et, maintenant, assise au bord de 
sopha, elle écoutait, immobile comme une statue, son regard fixe et plein d'angoisse, 
dardé sur le conteur. 
--Ce n'est pas encore bien intéressant, comtesse; mais attendez, la suite vous 
dédommagera, dit Meuzelin, feignant de prendre son attitude pour une pose d'ennui. 
Et il continua: 
--Les années se passèrent sans que Cardeuc fît montre du dévouement profond qu'il avait 
gardé à ses anciens maîtres dont il ignorait le sort. Enfin, un jour, il leva le masque. Il 
venait de recevoir d'Allemagne une lettre qui lui apprit ce qu'il était advenu des de 
Brivière. La fille seule survivait et son isolement était double, car, après s'être mariée, 
elle était devenue veuve du comte de Méralec, tué au pont de Constance. 
Tout souriant, Meuzelin s'interrompit encore pour demander: 
--C'est bien là votre histoire que je vous conte, n'est-ce pas, comtesse? Dans votre lettre à 
Cardeuc, vous lui annonciez qu'ayant obtenu votre radiation de la liste des émigrés, vous 
alliez rentrer sous le toit de vos pères. 
Vous dire quelle fut la joie du brave Marcassin me serait impossible. Son ravissement fut 
plein d'un égoïsme remarquable, car, oubliant que le pays était ravagé par des bandes de 
Chauffeurs, il alla faire éclater sa joie bruyante partout, s'étonnant qu'elle ne fût pas 
partagée par tous ces malheureux qui avaient un bien autre martel en tête, car ils 
mouraient de peur. 
Une seconde lettre arriva qui précisait à Cardeuc le jour et l'heure où le château de la 
Brivière recevrait la survivante de la famille. Ce retour que le Marcassin alla encore 
trompeter à tous venants, fut appris avec moins d'indifférence par les habitants, à qui une 
bonne nouvelle, venue en même temps, avait rendu un peu de    
    
		
	
	
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