(jusqu'à l'époque maussade des cahiers, 
des leçons, des devoirs) se firent presque chaque jour, tellement que je 
connus de très bonne heure les chemins des environs et les variétés des 
fleurs qu'on y pouvait moissonner. 
Pauvres campagnes de mon pays, monotones mais que j'aime quand 
même; monotones, unies, pareilles; prairies de foins et de marguerites 
où, en ces temps-là, je disparaissais, enfoui sous les tiges vertes; 
champs de blé, avec des sentiers bordés d'aubépines.... Du côté de 
l'Ouest, au bout des lointains, je cherchais des yeux la mer qui, parfois, 
quand on était allé très loin, montrait au-dessus de ces lignes déjà si 
planes, une autre petite raie bleuâtre plus complètement droite,--et 
attirante, attirante à la longue comme un grand aimant patient, sûr de sa 
puissance et pouvant attendre. 
Ma soeur, et mon frère dont je n'ai pas parlé encore, étaient de bien des 
années mes aînés, de sorte qu'il semblait, alors surtout, que je fusse 
d'une génération suivante. 
Donc, ils étaient pour me gâter, en plus de mon père et de ma mère, de 
mes grand'mères, de mes tantes et grand'tantes. Et, seul enfant au 
milieu d'eux tous, je poussais comme un petit arbuste trop soigné en 
serre, trop garanti, trop ignorant des halliers et des ronces.... 
 
VIII 
On a avancé que les gens doués pour bien peindre (avec des couleurs 
ou avec des mots) sont probablement des espèces de demi-aveugles, qui 
vivent d'habitude dans une pénombre, dans un brouillard lunaire, le 
regard tourné en dedans, et qui alors, quand par hasard ils voient, sont 
impressionnés dix fois plus vivement que les autres hommes. 
Cela me semble un peu paradoxal.
Mais il est certain que la pénombre dispose à mieux voir; comme dans 
les panoramas, par exemple, cette obscurité des vestibules qui prépare 
si bien au grand trompe-l'oeil final. 
Au cours de ma vie, j'aurais donc été moins impressionné sans doute 
par la fantasmagorie changeante du monde, si je n'avais commencé 
l'étape dans un milieu presque incolore, dans le coin le plus tranquille 
de la plus ordinaire des petites villes: recevant une éducation 
austèrement religieuse; bornant mes plus grands voyages à ces bois de 
la Limoise, qui me semblaient profonds comme les forêts primitives, ou 
bien a ces plages de l'«île», qui me mettaient un peu d'immensité dans 
les yeux lors de mes visites à mes vieilles tantes de 
Saint-Pierre-d'Oleron. 
C'était surtout dans la cour de notre maison que se passait le plus clair 
de mes étés; il me semblait que ce fût là mon principal domaine, et je 
l'adorais.... 
Bien jolie, il est vrai, cette cour; plus ensoleillée et aérée, et fleurie que 
la plupart des jardins de ville. Sorte de longue avenue de branches 
vertes et de fleurs, bordée au midi par de vieux petite murs bas d'où 
retombaient des rosiers, des chèvrefeuilles, et que dépassaient des têtes 
d'arbres fruitiers du voisinage. Longue avenue très fleurie donnant des 
illusions de profondeur, elle s'en allait en perspective fuyante, sous des 
berceaux de vigne et de jasmin, jusqu'à un recoin qui s'élargissait 
comme un grand salon de verdure,--puis elle finissait à un chai, de 
construction très ancienne, dont les pierres grises disparaissaient sous 
des treilles et du lierre. 
Oh! que je l'ai aimée, cette cour, et que je l'aime encore! 
Les plus pénétrants premiers souvenirs que j'en aie gardés, sont, je crois, 
ceux des belles soirées longues de l'été.--Oh! revenir de la promenade, 
le soir, à ces crépuscules chauds et limpides qui étaient certainement 
bien plus délicieux alors qu'aujourd'hui; rentrer dans cette cour, que les 
daturas, les chèvrefeuilles remplissaient des plus suaves odeurs, et, en 
arrivant, apercevoir dès la porte toute cette longue enfilade de branches 
retombantes!... Par-dessous un premier berceau, de jasmin de la
Virginie, une trouée dans la verdure laissait paraître un coin encore 
lumineux du rouge couchant. Et, tout au fond, parmi les masses déjà 
assombries des feuillages, on distinguait trois ou quatre personnes bien 
tranquillement assises sur des chaises;--des personnes en robe noire, il 
est vrai, et immobiles--mais très rassurantes quand même, très connues, 
très aimées: mère, grand'mère et tantes. Alors je prenais ma course pour 
aller me jeter sur leurs genoux,--et c'était un des instants les plus 
amusants de ma journée. 
 
IX 
...Deux enfants, deux tout petits, assis bien près l'un de l'autre, sur des 
tabourets bas, dans une grande chambre qui s'emplissait d'ombre à 
l'approche d'un crépuscule de mars. Deux tout petits de cinq à six ans, 
en pantalons courts, blouses et tabliers blancs par-dessus, à la mode de 
ce temps-là; bien tranquilles, après avoir fait le diable, s'amusant dans 
un coin avec des crayons et des bouts de papier,--l'esprit inquiété d'une 
vague crainte cependant, à cause de la lumière mourante. 
Des deux bébés, un seul dessinait, c'était moi. L'autre--un ami invité 
pour la journée par exception--regardait faire, du plus près qu'il pouvait.    
    
		
	
	
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