Eugène Sue y retrouva son cousin Ferdinand Langlé et le futur docteur 
Louis Véron, qui devait aussi abandonner la médecine, non pour faire, 
mais pour faire faire de la littérature. 
Nous avons dit qu'Eugène Sue avait beaucoup du caractère de sa 
nourrice la chèvre. C'était, en effet, et nous l'avons encore connu ainsi, 
un franc gamin de bonne maison, toujours prêt à faire quelque méchant 
tour, même à son père, et, disons plus, surtout à son père, qui venait de 
se remarier et le traitait fort rudement. 
Mais aussi, comme on se vengeait de cette rudesse! 
Le docteur Sue occupait ses élèves à lui préparer son cours d'histoire 
naturelle; la préparation se faisait dans un magnifique cabinet 
d'anatomie qu'il a laissé par testament aux Beaux-Arts. Ce cabinet, 
entre autres curiosités, contenait le cerveau de Mirabeau, conservé dans 
un bocal. 
Les préparateurs en titre étaient Eugène Sue, Ferdinand Langlé et un de 
leurs amis nommé Delattre, qui fut, depuis, et est probablement encore 
docteur médecin; les préparateurs amateurs étaient un nommé Achille 
Petit et un vieil et spirituel ami à nous, James Rousseau. 
Les séances de préparation étaient assez tristes, d'autant plus tristes que 
l'on avait devant soi, à portée de la main, deux armoires pleines de vins 
près desquels le nectar des dieux n'était que de la blanquette de 
Limoux. 
Ces vins étaient des cadeaux qu'après l'invasion de 1815, les souverains 
alliés avaient faits au docteur Sue. Il y avait des vins de tokai donnés 
par l'empereur d'Autriche; des vins du Rhin donnés par le roi de Prusse, 
du johannisberg donné par M. de Metternich, et, enfin, une centaine de
bouteilles de vin d'Alicante, données par Mme de Morville, et qui 
portaient la date respectable, mieux que respectable, vénérable de 1750. 
On avait essayé de tous les moyens pour ouvrir les armoires: les 
armoires avaient vertueusement résisté à la persuasion comme à la 
force. 
On désespérait de faire jamais connaissance avec l'alicante de Mme de 
Morville, avec le johannisberg de M. de Metternich, avec le 
liebfraumilch du roi de Prusse, et avec le tokai de l'empereur d'Autriche, 
autrement que par les échantillons que, dans ses grands dîners, le 
docteur Sue versait à ses convives dans des dés à coudre, lorsqu'un jour, 
en fouillant dans un squelette, Eugène Sue trouva par hasard un 
trousseau de clefs. 
C'étaient les clefs des armoires! 
Dès le premier jour, on mit la main sur une bouteille de vin de tokai au 
cachet impérial, et on la vida jusqu'à la dernière goutte; puis on fit 
disparaître la bouteille. 
Le lendemain, ce fut le tour du johannisberg; le surlendemain, celui du 
liebfraumilch; le jour suivant, de l'alicante. 
On en fit autant de ces trois bouteilles que de la première. 
Mais James Rousseau, qui était l'aîné et qui, par conséquent, avait une 
science du monde supérieure à celle de ses jeunes amis, qui hasardaient 
leurs pas sur le terrain glissant de la société, James Rousseau fit 
judicieusement observer qu'au train dont on y allait, on creuserait bien 
vite un gouffre, que l'oeil du docteur Sue plongerait dans ce gouffre et 
qu'il y trouverait la vérité. 
Il fit alors cette proposition astucieuse de boire chaque bouteille au tiers 
seulement, de la remplir d'une composition chimique qui, autant que 
possible, se rapprocherait du vin dégusté ce jour-là, de la reboucher 
artistement et de la remettre à sa place.
Ferdinand Langlé appuya la proposition et, en sa qualité de 
vaudevilliste, y ajouta un amendement; c'était de procéder à l'ouverture 
de l'armoire à la manière antique, c'est-à-dire avec accompagnement de 
choeurs. 
Les deux propositions passèrent à l'unanimité. 
Le même jour, l'armoire fut ouverte sur ce choeur, imité de _La Leçon 
de botanique._ 
Le coryphée chantait: 
_Que l'amour et la botanique_ _N'occupent pas tous nos instants;_ _Il 
faut aussi que l'on s'applique_ _À boire le vin des parents._ 
Puis le choeur reprenait: 
_Buvons le vin des grands-parents!_ 
Et l'on joignait l'exemple au précepte. Une fois lancés sur la voie de la 
poésie, les préparateurs composèrent un second choeur pour le travail. 
Ce travail consistait particulièrement à empailler de magnifiques 
oiseaux que l'on recevait des quatre parties du monde. Voici le choeur 
des travailleurs: 
_Goûtons le sort que le ciel nous destine;_ _Reposons-nous sur le sein 
des oiseaux;_ _Mêlons le camphre à la térébenthine,_ _Et par le vin 
égayons nos travaux._ 
Sur quoi, on buvait une gorgée de la bouteille, qui se trouvait non pas 
au tiers, mais à moitié vide. 
Il s'agissait de suivre l'ordonnance de James Rousseau et de la remplir. 
C'était l'affaire du comité de chimie, composé de Ferdinand Langlé, 
d'Eugène Sue et de Delattre; plus tard, Romieu y fut adjoint. 
Le comité de chimie faisait un affreux mélange de réglisse et de 
caramel, remplaçait le vin bu par ce mélange improvisé, rebouchait la
bouteille aussi proprement que possible et la remettait à sa    
    
		
	
	
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