de mal, de vices sans frein et de 
véritables qualités. Il sont tour à tour et à la fois paresseux jours, 
querelleurs, ivrognes, cruels, fiers, témérairement braves et dévoués à
un ami ou à un patron de leur choix. Dès leur enfance, le sang coule 
sous leurs mains, dans les estancias, l'époque de la mantaza del ganado 
(abattage des bestiaux), et ils s'habituent ainsi à la couleur de la pourpre 
humaine. Du reste, leurs plaisanteries sont grossières, comme leurs 
moeurs: la plus délicate et la plus fréquente est de se menacer du 
couteau sous le prétexte le plus frivole. 
Pendant que les gauchos, rentrés après la querelle chez le pulpero, 
arrosaient la réconciliation et noyaient dans des flots de chicha le 
souvenir de ce petit incident, un homme enveloppé dans un épais 
manteau et les ailes du chapeau rabattues sur les yeux, entra dans la 
pulperia sans souffler mot, s'approcha du comptoir, jeta autour de lui un 
regard en apparence indifférent, alluma une cigarette au brasero, et 
avec une piastre qu'il tenait à la main, il frappa trois coups secs sur le 
comptoir. 
A ce bruit inattendu, qui ressemblait à un signal, les gauchos, qui 
causaient vivement entre eux, se turent comme saisis par une 
commotion électrique. Chillito et Mato tressaillirent essayant du regard 
de soulever les plis du manteau qui cachait l'étranger, tandis que Pavito 
détournait un peu la tête pour dissimuler un sourire narquois. 
L'inconnu jeta sa cigarette à demi consumée, et se retira du bouge en 
silence comme il était venu. Un instant après, Chillito, qui s'essuyait la 
joue, et Mato, feignant tous deux de se rappeler une affaire importante, 
quittèrent la pulperia. Le Pavito se glissa le long du mur jusqu'à la porte 
et courut sur leurs talons. 
--Hum! grommela le pulpero, voilà trois gredins qui me font l'effet de 
manigancer quelque chienne de besogne, où toutes les têtes ne resteront 
pas sur toutes leurs épaules. Ma foi, ça les regarde. 
Les autres gauchos, complètement absorbés par leur partie de monte, et 
penchés vers les cartes, n'avaient pour ainsi dire pas pris garde au 
départ de leurs camarades. 
L'inconnu, à une certaine distance de la pulperia, se retourna. Les deux 
gauchos marchaient presque derrière lui et causaient négligemment
comme deux oisifs qui se promènent. 
Où était le Pavito? il avait disparu. 
Après avoir fait un signe imperceptible aux deux hommes, l'étranger se 
mit en marche et suivit un chemin qui, par une courbe insensible, 
s'éloignait du cours de la rivière et s'enfonçait peu à peu dans les terres. 
Ce chemin, à la sortie de la Poblacion, tournait par un coude assez raide 
et se rétrécissait tout à coup en un sentier qui, comme tous les autres 
semblait se perdre dans la plaine. 
A l'angle du sentier passa, près des trois hommes, un cavalier, qui, au 
grand trot, se dirigeait vers le village; mais préoccupés sans doute par 
de sérieuses pensées, ni l'étranger, ni les gauchos ne le remarquèrent. 
Quant au cavalier, il lança sur eux un coup d'oeil rapide et perçant, et 
ralentit l'allure de son cheval, qu'il arrêta à quelques pas de là. 
--Dieu me pardonne! se dit-il à lui-même, c'est don Juan Perez, ou c'est 
le diable en chair et en os! Que peut-il avoir à faire par là en compagnie 
de ces deux bandits qui m'ont l'air de suppôts de Satan? Que je perde 
mon nom de José Diaz, si je n'en ai pas le coeur net et si je ne me mets 
à leurs trousses! 
Et il sauta vivement à terre. Le senor José Diaz était un homme de 
trente-cinq ans au plus, d'une taille au-dessous de la moyenne et un peu 
replet; mais, en revanche, la carrure des ses larges épaules, et ses 
membres trapus indiquaient sa force musculaire. Un petit oeil gris, vif 
et pétillant d'intelligence et d'audace éclairait sa physionomie ouverte et 
franche. Son costume, sauf un peu plus d'élégance, était celui des 
gauchos. 
Dès qu'il eut mis pied à terre, il regarda autour de lui, mais personne à 
qui confier sa monture, car, au Carmen, et surtout dans la 
Poblacion-del-Sur, c'est presque un miracle de rencontrer en même 
temps deux passants dans la rue. Il frappa du pied avec colère, passa la 
bride dans son bras, conduisit son cheval à la pulperia, d'où les gauchos 
venaient de sortir, et le confia à l'hôte.
Ce devoir accompli, car le meilleur ami d'un Hispano-Américain est 
son cheval, Diaz revint sur ses pas avec les précautions les plus 
minutieuses, comme un homme qui veut surprendre et n'être point 
aperçu. Les gauchos avaient de l'avance sur lui et disparaissaient 
derrière Une dune mouvante, au moment où il tournait le coude de 
chemin. Néanmoins, il ne tarda pas à les revoir gravissant un sentier 
raide qui aboutissait à un bouquet de bois touffu. Quelques arbres 
avaient    
    
		
	
	
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