allemand qui s'appelle: Notes à ajouter au livre de
la vie, et qui est signé Gerhard d'Amyntor, livre assez vrai et par
conséquent assez triste, où l'on voit décrite la condition ordinaire des
femmes. «C'est dans les soucis quotidiens que la mère de famille perd
sa fraîcheur et sa force et se consume jusqu'à la moelle de ses os.
L'éternel retour de la question: «Que faut-il faire cuire aujourd'hui?»
l'incessante nécessité de balayer le plancher, de battre, de brosser les
habits, d'épousseter, tout cela, c'est la goutte d'eau dont la chute
constante finit par ronger lentement, mais sûrement, l'esprit aussi bien
que le corps. C'est devant le fourneau de cuisine que, par une magie
vulgaire, la petite créature blanche et rose, au rire de cristal, se change
en une momie noire et douloureuse. Sur l'autel fumeux où mijote le
pot-au-feu, sont sacrifiées jeunesse, liberté, beauté, joie.» Ainsi
s'exprime peu près Gerhard d'Amyntor.
Tel est le sort, en effet, de l'immense majorité des femmes. L'existence
est dure pour elles comme pour l'homme. Et si l'on recherche
aujourd'hui pourquoi elle est si pénible, on reconnaît qu'il n'en peut être
autrement sur une planète où les choses indispensables à la vie sont
rares, d'une production difficile ou d'une extraction laborieuse. Des
causes si profondes et qui dépendent de la figure même de la terre, de
sa constitution, de sa flore et de sa faune, sont malheureusement
durables et nécessaires. Le travail, avec quelque équité qu'on le puisse
répartir, pèsera toujours sur la plupart des hommes et sur la plupart des
femmes, et peu d'entre elles auront le loisir de développer leur beauté et
leur intelligence dans des conditions esthétiques. La faute en est à la
nature. Cependant, que devient l'amour? Il devient ce qu'il peut. La
faim est sa grande ennemie. Et c'est un fait incontestable que les
femmes ont faim. Il est probable qu'au XX° siècle comme au XIX°
elles feront la cuisine, à moins que le socialisme ne ramène l'âge o les
chasseurs dévoraient leur proie encore chaude et où Vénus dans les
forêts unissait les amants. Alors la femme était libre. Je vais vous dire:
Si j'avais créé l'homme et la femme, je les aurais formés sur un type
très différent de celui qui a prévalu et qui est celui des mammifères
supérieurs. J'aurais fait les hommes et les femmes, non point à la
ressemblance des grands singes comme ils sont en effet, mais à l'image
des insectes qui, après avoir vécu chenilles, se transforment en
papillons et n'ont, au terme de leur vie, d'autre souci que d'aimer et
d'être beaux. J'aurais mis la jeunesse à la fin de l'existence humaine.
Certains insectes ont, dans leur dernière métamorphose, des ailes et pas
d'estomac. Ils ne renaissent sous cette forme épurée que pour aimer une
heure et mourir.
Si j'étais un dieu, ou plutôt un démiurge,--car la philosophie
alexandrine nous enseigne que ces minimes ouvrages sont plutôt
l'affaire du démiurge, ou simplement de quelque démon
constructeur,--si donc j'étais démiurge ou démon, ce sont ces insectes
que j'aurais pris pour modèles de l'homme. J'aurais voulu que, comme
eux, l'homme accomplît d'abord, à l'état de larve, les travaux dégoûtants
par lesquels il se nourrit. En cette phase, il n'y aurait point eu de sexes,
et la faim n'aurait point avili l'amour. Puis j'aurais fait en sorte que,
dans une transformation dernière, l'homme et la femme, déployant des
ailes étincelantes, vécussent de rosée et de désir et mourussent dans un
baiser. J'aurais de la sorte donné à leur existence mortelle l'amour en
récompense et pour couronne. Et cela aurait été mieux ainsi. Mais je
n'ai pas créé le monde, et le démiurge qui s'en est chargé n'a pas pris
mes avis. Je doute, entre nous, qu'il ait consulté les philosophes et les
gens d'esprit.
* * *
C'est une grande erreur de croire que les vérités scientifiques diffèrent
essentiellement des vérités vulgaires. Elles n'en diffèrent que par
l'étendue et la précision. Au point de vue pratique, c'est là une
différence considérable. Mais il ne faut pas oublier que l'observation du
savant s'arrête à l'apparence et au phénomène, sans jamais pouvoir
pénétrer la substance ni rien savoir de la véritable nature des choses. Un
oeil armé du microscope n'en est pas moins un oeil humain. Il voit plus
que les autres yeux, il ne voit pas autrement. Le savant multiplie les
rapports de l'homme avec la nature, mais il lui est impossible de
modifier en rien le caractère essentiel de ces rapports. Il voit comment
se produisent certains phénomènes qui nous échappent, mais il lui est
interdit, aussi bien qu'à nous, de rechercher pourquoi ils se produisent.
Demander une morale à la science, c'est s'exposer à de cruels
mécomptes. On croyait, il y a trois cents ans, que la terre était le centre
de la création. Nous

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