Le dernier vivant | Page 9

Paul H. C. Féval
ce qu'un ��v��nement quelconque vint me relever de ma faction.
Faction est bien le mot: je me sentais de garde.
Lucien m'avait appel��; je le trouvais malheureux et seul; car je ne sais si d'autres partagent ce sentiment: c'est surtout dans ces faux hospices, ouverts par la sp��culation, que l'isolement semble navrant.
Je crois que Lucien m'e?t parut moins abandonn�� dans un trou campagnard ou dans un grenier parisien.
Partout o�� le Dr Chapart, quel que soit son vrai nom, d��bite son sirop, il y a odeur de s��questration.
Depuis que j'avais pass�� le seuil de cette cellule, j'��tais charg�� de Lucien. Je l'entendais, je l'acceptais ainsi.
�� la longue, pendant qu'il reposait, ses mains s'��taient ��cart��es, et je voyais cette pauvre figure enfantine dans son cadre de cheveux boucl��s, dont bien des femmes eussent envi�� la finesse et l'abondance.
��tait-ce l�� un homme de trente ans? un homme que j'avais connu joyeux, intelligent et fort?
Quel pouvait ��tre l'��trange myst��re de cette d��cadence?
Je ne puis dire que mon envie de percer le myst��re f?t tr��s vive en ce moment. J'��tais beaucoup plus d��sol�� que curieux.
Il y avait l�� une ��nigme, et toute ��nigme qui se pose porte avec soi son aiguillon; mais l'aiguillon ne m'avait pas encore piqu��.
La preuve, c'est que je me souviens de l'instant pr��cis o�� ma curiosit��, soudainement ��veill��e, secoua les langueurs de ma tristesse.
Il pouvait y avoir une heure et demi que Lucien dormait. Le soleil de midi se cachait sous des nu��es orageuses. Des bouff��es de ti��des parfums montaient du parterre qui fleurissait sous la fen��tre.
La voix lointaine de Paris arrivait comme un sourd murmure dans la maison muette. La feuill��e des grands arbres assombrissait encore le jour pale et gris.
Je dis tout cela parce que tout cela me g��nait et m'opprimait.
�� force de regarder le sommeil de Lucien, j'avais ferm�� les yeux moi-m��me, r��vant confus��ment au m��lancolique d��but de notre revoir.
J'��tais ainsi, n'ayant plus qu'une conscience tr��s vague des choses ext��rieures, lorsque je crus entendre un faible craquement dans la chambre m��me, �� quelques pas de moi.
Je rouvris les yeux �� demi. Une porte que je n'avais pas aper?ue--ce n'��tait pas celle par o�� le Dr Chapart et moi nous ��tions entr��s--roula lentement sur ses gonds.
Je regardai mieux, pensant que c'��tait l'oeuvre du vent, car l'orage commen?ait �� agiter les feuilles; mais je vis para?tre au seuil une jeune femme d'une remarquable beaut��, ��l��gamment v��tue de noir et appartenant, selon les apparences, �� ce qu'on appelle la classe distingu��e.
Elle ne me vit point, d'abord, parce que son regard inquiet cherchait Lucien.
Inquiet ne dit certes pas tout ce qu'il y avait dans ce regard, et pourtant j'h��site �� ��crire le mot tendre.
Ce regard ��tait aussi une charade, mais je puis affirmer qu'il partait des plus beaux yeux noirs que j'eusse vus de ma vie.
Quand la dame m'aper?ut, elle recula avec un visible effroi.
Croyant la servir, je fis un mouvement pour ��veiller Lucien, mais elle joignit aussit?t les mains d'un air suppliant.
Je me levai et j'allai vers elle.
--Laissez-le reposer, balbutia-t-elle, je ne lui veux rien, sinon le voir.
Ses paupi��res battaient comme pour contenir des larmes.
Elle dit encore:
--C'est l'heure o�� il sommeille. J'entre un instant, il ne me voit pas. S'il savait que je suis si pr��s de lui....
Elle s'arr��ta. L'accent de ses paroles ��tait douloureusement r��sign��.
Elle ajouta pourtant avec encore plus de tristesse:
--Il n'aurait pas de plaisir �� me voir. Sa maladie est de ha?r ceux qu'il devrait aimer....
Lucien s'agita. Elle mit un doigt sur ses l��vres et disparut derri��re la porte doucement referm��e.
Lucien ne s'��veilla pas; mais il continuait de s'agiter.
Je restai, moi, sous le charme de cette vision, car l'inconnue ��tait d'une beaut�� rare.
Je m'��tais donc tromp��: Lucien n'��tait pas abandonn��.
Pourquoi n'��prouvais-je aucun plaisir �� me dire cela?
Et qui ��tait cette splendide cr��ature? Une de ses soeurs? Non. Jeanne P��ry? Oh! certes, on ne pouvait appeler celle-l�� ?ma petite Jeanne.?
Lucien semblait se d��battre contre un cauchemar.
Ses mains repoussaient un ennemi invisible, et de la voix ��trangl��e des gens qui r��vent, il criait:
--Olympe! Olympe!

VI
R��veil--Mon roman
Je touchai Lucien, il ouvrit aussit?t les yeux et passa la main sur son front baign�� de sueur.
J'h��sitai ne sachant s'il fallait parler le premier.
Quand son regard tomba sur moi, il e?t l'air profond��ment surpris.
--Geoffroy! pronon?a-t-il �� voix basse, Geoffroy de Roeux! �� Paris!
Sa physionomie, en ce moment, avait subi une transformation tout �� fait extraordinaire. Il ne lui restait rien de cette joliesse enfantine et presque f��minine, qui m'avait ��tonn�� nagu��re et surtout chagrin��.
C'��tait un homme, �� cette heure. Il avait l'air tr��s souffrant, mais froid et ferme.
Il me tendit la main.
--Je n'esp��rais plus vous voir, Geoffroy, me dit-il. Je vous ai longtemps attendu.
Manifestement, il ne se souvenait pas de m'avoir vu tout �� l'heure.
Ceci rentre dans l'ordre des faits admis scientifiquement.
Les m��decins ali��nistes professent, en effet, que les malades du cerveau ont deux m��moires. Aux heures
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