à force d'y peiner, en 
ont pris la couleur.... 
--Oh! je comprends.... Elle vous l'a dit aussi, cette chose; qu'ici les 
petits enfants portent déjà sur leur corps rouge le blason du métal 
dispensateur de leur existence. 
--Philippe, pourquoi cette amertume dans votre voix? 
--Pour rien, commandant... pour rien.... Nous arrivons à la contrée des 
Hauts-Fourneaux, et des corons pleins de peuple, et des donjons 
flamboyants. 
--Regardez; cela forme un grand cercle étendu selon un périmètre fixe. 
--Sous les canons de la cité octogone dont voici, à ras de terre, les 
remparts. 
--Il faut de la prudence, Philippe, avec ce peuple de pauvres; car il lui 
arrive de s'exaspérer. 
--Descendons-nous? Nous nous promènerons devant les petites 
maisons si closes, où habitent les familles des magistrats, des 
percepteurs, des fonctionnaires... que sais-je?... 
--Réveillez-vous, colonel.... Quarante minutes d'arrêt pour la douane.... 
Nous allons nous dégourdir les jambes.... 
--Hé quoi! fit le colonel.... Sommes-nous à la frontière? 
--Peu s'en faut... vous le savez bien: voici la dernière station avant le 
Fort. 
--Diable.... Tenez: à gauche, la maison en briques rouges... où l'on 
aperçoit des primevères dans le petit parterre, hein?... C'est la demeure 
du bourreau.... 
--Ah! ah!... la demeure du bourreau.... Il y a beaucoup d'assassins parce 
qu'on mange peu. 
--Et puis le peuple manque de distractions.... 
«Au fait, pense Philippe, si rien n'altère les traits de ma face, ni ne 
décèle ma douleur à leurs yeux, c'est que je m'exagère ma souffrance.... 
Il faut croire que le malheur ne m'accable pas.... Pourtant il y a comme 
des cailloux sur ma poitrine quand elle se soulève pour le jeu de 
respirer...» 
Ils vont donc en promenade.
Au pinacle de la cathédrale rococo, le symbole divin du supplice, la 
croix de fer, impose son signe sur des rues étroites et dures où circule la 
vie de la cité. Elles mènent du beffroi roidi dans ses dentelles de pierre 
aux casernes et aux lupanars, à un théâtre d'architecture attique, à un 
palais de justice Louis XV, à un hôpital de style Empire, à une prison 
très vaste et très simple, ornée seulement de quelques capucines 
entretenues, sur une croisée, par la femme du concierge. Ils rencontrent 
encore vers la citadelle, des manutentions et des magasins de guerre, 
des petits soldats imberbes qui, sous leurs longues capotes sanglées, 
ressemblent à des servantes en cotillons, et des officiers éperonnés, 
moustachus, ronds comme des oeufs, ou bien, fins comme des épis, 
avec de courtes cravaches à l'aisselle. 
Large, bien balayé, éclairé de globes électriques, le boulevard traverse 
la ville entre des bazars somptueux, qui alternent avec des palais pour 
Compagnies d'assurances, Sociétés métallurgiques, banques de crédit. 
Il s'y promène des messieurs évidemment orgueilleux de leurs soucis et 
des femmes promptes à aimer pour l'avantage de leur bourse ou de leur 
coeur. Il y court des gaillards chargés de ballots et légèrement ivres. 
Les étoffes des robes se drapent en harmonie dans les voitures. 
Le boulevard conduit hors de la ville, jusqu'à la gare. Après, il devient 
grand'route et suit, à peu près parallèlement, la direction de la voie 
ferrée. Les trains franchissent assez vite la région des 
Hauts-Fourneaux.... On passe entre des ruches humaines (briques 
brûlées, tuiles rouges, ciments).... Le colonel a repris son somme dans 
le coin de droite.... 
--Là, mon commandant, là, dit Philippe: les enfants qui grouillent à 
terre.... on dirait un essaim de mouches sur une ordure. 
--Oh! Philippe, pourquoi parler ainsi des enfants? 
--Le linge que lessive cette vieille hideuse dans le baquet... ah! ah!... il 
se déchire.... Quelle mine désolée!... En vérité, ce linge s'est déchiré 
jusque dans mon coeur. 
--Pourquoi donc parler ainsi? 
--Rirez-vous cependant de cette mère si occupée.... A la fois, elle allaite 
du sein, mouche d'une main, gifle de l'autre, gronde de la bouche, berce 
du pied et rit de l'oeil au facteur qui passe.... Ces fillettes qui 
pleurnichent en épluchant des légumes, en tirant l'eau du puits; 
rirez-vous de leur laideur!... Et les adolescentes qui se nouent des
rubans sales dans leurs maigres cheveux.... 
--Philippe, pourquoi lorgnez-vous le monde avec un verre noir? 
--On ne voit pas de vieillards, mon commandant, dans cette cité de 
pauvres.... 
--Non... c'est vrai... on n'en voit pas.... 
--Mais il y a partout de petits cimetières carrés.... Un, deux, trois.... 
--On ne voit pas non plus les adultes.... Philippe. 
--Ils demeurent apparemment tous dans la flamme féerique qui ronfle 
parmi les cris du métal, sous les dômes des usines.... 
--Les estaminets aussi paraissent pleins de feux de pipes.... 
--La douleur s'endort dans l'abrutissement.... 
--Elle vous a tout dit aussi à vous, Philippe, Philomène vous a tout dit... 
et voilà que vous reflétez son âme presque autant que la reflète sa petite 
soeur Francine.... 
Le cornette se détourne. Il regarde au carreau du wagon. Le plateau 
devient une bande bossuée de roches. Des fougères géantes    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
