; sur la plate-forme, une longue tige 
métallique, agrémentée du virolet féodal, sorte de girouette soudée par 
la rouille, et qu'un dernier coup de galerne avait fixée au sud-est. 
Quant à ce que renfermait cette enceinte, rompue en maint endroit, s'il 
existait quelque bâtiment habitable à l'intérieur, si un pont-levis et une 
poterne permettaient d'y pénétrer, on l'ignorait depuis nombre d'années. 
En réalité, bien que le château des Carpathes fût mieux conservé qu'il 
n'en avait l'air, une contagieuse épouvante, doublée de superstition, le 
protégeait non moins que l'avaient pu faire autrefois ses basilics, ses 
sautereaux, ses bombardes, ses couleuvrines, ses tonnoires et autres 
engins d'artillerie des vieux siècles. 
Et pourtant, le château des Carpathes eût valu la peine d'être visité par 
les touristes et les antiquaires. Sa situation, à la crête du plateau 
d'Orgall, est exceptionnellement belle. De la plate-forme supérieure du 
donjon, la vue s'étend jusqu'à l'extrême limite des montagnes. En 
arrière ondule la haute chaîne, si capricieusement ramifiée, qui marque
la frontière de la Valachie. En avant se creuse le sinueux défilé de 
Vulkan, seule route praticable entre les provinces limitrophes. Au-delà 
de la vallée des deux Sils, surgissent les bourgs de Livadzel, de Lonyai, 
de Petroseny, de Petrilla, groupés à l'orifice des puits qui servent à 
l'exploitation de ce riche bassin houiller. Puis, aux derniers plans, c'est 
un admirable chevauchement de croupes, boisées à leur base, 
verdoyantes à leurs flancs, arides à leurs cimes, que dominent les 
sommets abrupts du Retyezat et du Paring [Le Retyezat s'élève à une 
hauteur de 2 496 mètres, et le Paring àune hauteur de 2 414 mètres 
au-dessus du niveau de la mer.]. Enfin, plus loin que la vallée du 
Hatszeg et le cours du Maros, apparaissent les lointains profils, noyés 
de brumes, des Alpes de la Transylvanie centrale. 
Au fond de cet entonnoir, la dépression du sol formait autrefois un lac, 
dans lequel s'absorbaient les deux Sils, avant d'avoir trouvé passage à 
travers la chaîne. Maintenant, cette dépression n'est plus qu'un 
charbonnage avec ses inconvénients et ses avantages ; les hautes 
cheminées de brique se mêlent aux ramures des peupliers, des sapins et 
des hêtres ; les fumées noirâtres vicient l'air, saturé, jadis du parfum des 
arbres fruitiers et des fleurs. Toutefois, à l'époque où se passe cette 
histoire, bien que l'industrie tienne ce district minier sous sa main de fer, 
il n'a rien perdu du caractère sauvage qu'il doit à la nature. 
Le château des Carpathes date du XIIe ou du XIIIe siècle. En ce 
temps-là, sous la domination des chefs ou voïvodes, monastères, églises, 
palais, châteaux, se fortifiaient avec autant de soin que les bourgades ou 
les villages. Seigneurs et paysans avaient à se garantir contre des 
agressions de toutes sortes. Cet état de choses explique pourquoi 
l'antique courtine du burg, ses bastions et son donjon lui donnent 
l'aspect d'une construction féodale, prête à la défensive. Quel architecte 
l'a édifié sur ce plateau, à cette hauteur ? On l'ignore, et cet audacieux 
artiste est inconnu, à moins que ce soit le roumain Manoli, si 
glorieusement chanté dans les légendes valaques, et qui bâtit à Curté 
d'Argis le célèbre château de Rodolphe le Noir. 
Qu'il y ait des doutes sur l'architecte, il n'y en a aucun sur la famille qui 
possédait ce burg. Les barons de Gortz étaient seigneurs du pays depuis 
un temps immémorial. Ils furent mêlés à toutes ces guerres qui 
ensanglantèrent les provinces transylvaines ; ils luttèrent contre les 
Hongrois, les Saxons, les Szeklers ; leur nom figure dans les « cantices
», les -- « doïnes », où se perpétue le souvenir de ces désastreuses 
périodes ; ils avaient pour devise le fameux proverbe valaque : Da pe 
maorte, « donne jusqu'à la mort ! » et ils donnèrent, ils répandirent leur 
sang pour la cause de l'indépendance, -- ce sang qui leur venait des 
Roumains, leurs ancêtres. 
On le sait, tant d'efforts, de dévouement, de sacrifices, n'ont abouti qu'à 
réduire à la plus indigne oppression les descendants de cette vaillante 
race. Elle n'a plus d'existence politique. Trois talons l'ont écrasée. Mais 
ils ne désespèrent pas de secouer le joug, ces Valaques de la 
Transylvanie. L'avenir leur appartient, et c'est avec une confiance 
inébranlable qu'ils répètent ces mots, dans lequel se concentrent toutes 
leurs aspirations : Rôman on péré ! « le Roumain ne saurait périr ! » 
Vers le milieu du XIXe siècle, le dernier représentant des seigneurs de 
Gortz était le baron Rodolphe. Né au château des Carpathes, il avait vu 
sa famille s'éteindre autour de lui pendant les premiers temps de sa 
jeunesse. A vingt-deux ans, il se trouva seul au monde. Tous les siens 
étaient tombés d'année en année, comme ces branches du hêtre 
séculaire, auquel la superstition populaire rattachait l'existence même 
du burg. Sans parents, on peut même dire sans amis, que    
    
		
	
	
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