étant parvenu avec beaucoup de peine à charger intact ce cerf sur mon mulet, je me dirigeai vers Nevada-City, où je me proposais de vendre mon gibier.
J'y arrivai vers le midi, juste au moment où les mineurs rentraient de leur claim pour d?ner; je m'avan?ai bravement au milieu de l'unique rue du village en criant en anglais: Venison at one dollar a pound. Cette bonne idée fut couronnée de succès, car à peine étais-je arrivé au bout de la rue, qui n'avait pas six cents mètres de long, que j'avais tout vendu à raison d'un dollar[3] la livre, et me trouvais avoir gagné huit cents francs en poudre d'or.
[Note 3: Le dollar est une monnaie des états-Unis dont le cours ordinaire du commerce est fixé à la valeur de cinq francs, terme moyen.]
Une autre bonne aubaine se présenta: deux frères Nantais, MM. Dep..., qui y tenaient une taverne et auxquels j'avais vendu un des gigots de mon cerf, m'invitèrent à d?ner et me dirent au dessert que si je voulais m'engager à leur fournir du gibier pendant toute l'année, ils s'engageraient eux-mêmes à me le prendre tout à des prix débattus entre nous; j'acceptai pour tout le temps que je resterais à Grass-Valley, sans me lier cependant pour un temps déterminé, et notre parole de Breton rempla?a l'acte sur papier timbré.
Dans ce village comme dans tous les placers, l'or et l'argent monnayés n'étaient point employés; dans les transactions commerciales, toute denrée était vendue et payée en poudre d'or; aussi voyait-on sur le comptoir de chaque marchand une balance servant à peser la marchandise et une autre d'un plus petit modèle pour en peser le prix. Chaque mineur était nanti d'une bourse en cuir en guise de porte-monnaie, où était renfermée la poudre d'or qu'il consacrait à ses menus achats.
Ce ne fut que quelque temps avant le coucher du soleil que je pus me mettre en route pour Grass-Valley, porteur d'une somme assez ronde.
Départ pour l'intérieur.
Des semaines, des mois s'écoulèrent ainsi entre les travaux du claim et les plaisirs de la chasse; ceux-ci, chose étrange, me rapportant en général plus de profit que ceux-là. Puis vint un moment où je ne pus plus résister au désir impérieux qui me poussait vers les déserts de l'Est; en conséquence, après avoir mis ma cabane sous la surveillance des Canadiens et déposé ma petite fortune entre leurs mains loyales, je fis un beau matin mes derniers préparatifs de départ. Ma peau d'ours et mon hamac furent ployés en quatre sur le dos de mon mulet et fixés au moyen d'une sangle; j'y pla?ai mon bissac qui contenait mes provisions, et, par-dessus le tout, je m'installai moi-même; je donnai un dernier regard d'amour à mon paisible ermitage, à mes fleurs chéries qui allaient peut-être dessécher sur leurs tiges, privées de mes soins empressés, un amical serrement de main à mes voisins les Canadiens, et le coeur heureux et rempli d'émotions aventureuses, je me mis en route. Je m'étais confectionné une espèce de caban avec des peaux de coyottes, car ma pauvre chemise de laine rouge de matelot était bien usée. Dans cet équipage, je ressemblais assez à Robinson, seulement le parapluie de peau me manquait; je l'avais remplacé par un capuchon de la même étoffe que mon vêtement, et le trouvais infiniment plus commode pour la marche ou le repos, la veille ou le sommeil.
Le début de mon voyage se passa sans incidents dignes d'être rapportés; la journée était belle, le soleil resplendissant dorait la cime des arbres de la forêt. Je voyageais sous un d?me de verdure naturelle, où des myriades d'oiseaux voltigeaient en chantant et paraissaient peu effrayés de ma présence; je fis environ quarante-cinq à cinquante milles dans ma journée sans rencontrer d'Indiens; le calme des sombres et profondes forêts de cèdres géants, orgueil de la Sierra-Nevada (Taxodium giganteum), faisait pénétrer en moi un sentiment de repos et de bonheur que je n'ai réellement éprouvé que là. Mon ame semblait s'y reposer avec abandon des peines de la vie.
Vers les six heures j'arrivai près d'un joli petit ruisseau ombragé de saules et de jeunes chênes. La position me sembla charmante pour y établir mon campement; de chaque c?té, le ruisseau était bordé d'un beau tapis de gazon émaillé de fleurs fra?ches comme l'aurore; après avoir déchargé mon vieux camarade d'aventures et l'avoir laissé pa?tre sur ces bords charmants, je m'étendis moi-même sur le gazon, humant avec délices les senteurs embaumées de la forêt. Quand je fus un peu reposé, je pris un bain sous un de ses arceaux naturels de branchages et de fleurs, et dans cette baignoire qu'eut enviée plus d'une jolie na?ade, je réparai mes forces en rendant à mes membres la souplesse que leur enlève toujours une course de la longueur de celle que j'avais parcourue; car, pour ménager
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