_Mémoires_ d'autre part 
n'ont pas médiocrement contribué. Cette évolution du goût, le roman ne 
pouvait pas ne pas la suivre. Il a abandonné l'imaginaire ou 
l'invraisemblable pour des réalités précises, laissé la légende ou 
l'histoire trop reculée pour des époques voisines et donc assez bien 
connues; il a enfin, si le mot n'est pas trop ambitieux, changé
d'esthétique. Le genre n'y perdait pas; et il n'est pas malaisé d'établir 
que le futur roman historique y trouvait particulièrement son compte. 
Aux écrivains dont nous avons parlé jusqu'ici, il manquait non le 
sentiment profond de l'histoire,--la littérature devait en attendre 
jusqu'au XIXe siècle les premières manifestations,--mais le souci et 
comme le sens de la simple exactitude. Rien n'y préparait comme de 
choisir pour héros des personnages contemporains. Car alors 
l'imagination, toujours prête à s'emporter chez un romancier, est 
nécessairement tenue en bride. Le moins avisé des lecteurs peut 
comparer le modèle à la copie, le portrait à l'original; et il est fatal que 
cette facilité de vérification règle et contienne la main du peintre. 
Non qu'on doive s'attendre à ne plus rencontrer que vérité absolue: la 
chose fut toujours rare à l'étalage d'un romancier, surtout s'il se pique 
de n'écrire que des romans historiques; et ne faut-il pas toujours 
compter avec la malignité humaine, principalement quand c'est sur des 
contemporains qu'elle a occasion de s'exercer? Il y aura donc des 
médisances et des calomnies, des indiscrétions ou des commérages, 
c'est-à-dire des infidélités. Mais, outre que nous y trouvons justement 
l'écho assez souvent fidèle de ce que les intérêts ou les passions ont pu 
faire penser, de leur vivant même, des personnages historiques, 
l'écrivain sera tenu de ne pas trop s'écarter d'une certaine vérité 
générale, dont les romanciers du groupe précédent n'avaient soupçonné 
ni la nécessité, ni même l'existence. Les héros des Courtilz de Sandras, 
des Hamilton et des Prévost sont des prodiges de vérité par 
comparaison avec les invraisemblables fantoches des La Calprenède ou 
des Scudéry. 
Voici Mazarin. La psychologie du cauteleux italien ne sera sans doute 
ni bien raffinée, ni bien profonde: Courtilz de Sandras n'a que de très 
lointains rapports avec l'auteur de Britannicus ou de Mithridate. Mais 
comme les récits légers et malicieux de nos conteurs dégagent et fixent 
avec netteté les traits essentiels, ceux qui ont dû surtout faire 
impression sur les hommes d'alors! Il est «fin et adroit», fier d'ailleurs 
de son habileté et de sa souplesse: «en matière de ruse et de fourberie il 
eût été bien fâché de le céder à aucun», mais incapable de résister en
face, surtout quand on lui parle d'un certain ton: «il ne falloit que 
montrer les dents pour en avoir tout ce qu'on vouloit», «ma fermeté le 
fit taire; il falloit lui contredire pour gagner sa cause avec lui»;--d'une 
avarice encore plus remarquable: «il étoit tenant comme un Juif quand 
il y alloit de son intérêt»; son premier soin, une fois ministre, est 
d'établir des jeux, on devine dans quel but: «il n'en vouloit point à la vie 
de personne, il n'en vouloit qu'à leur bourse et il n'y eut point de finesse 
qu'il ne mit en oeuvre pour remplir la sienne»;--flatteur excessif avec 
ceux qu'il redoute ou qu'il a intérêt à ménager, et d'une impertinence 
méprisante avec ses inférieurs, ces deux défauts rendus encore plus 
piquants par son zézaiement d'Italien: «Monsieur le Prince, lui dit-il 
d'abord qu'il le vit, que fairont les Espagnols dorénavant, vous qui 
touez plous de monde vous seul que ne fait oune armée?» Devant tant 
de bassesse, le probe et scrupuleux d'Artagnan ne peut éprouver que du 
mépris: «il lui dit encore quantité de momeries qui eussent été bien 
mieux dans la bouche d'un baladin que dans celle d'un ministre d'État.» 
Mais le susceptible et chatouilleux mousquetaire en entendra bien 
d'autres. «Artagnan, jou ne counouissois pas les François avant que de 
les gouverner, mais les Espagnols ont grande raison de les appeler 
Gavaches: il n'y a rien qu'on ne leur fasse faire pour de l'argent». Faites 
aussi la part de la hâblerie gasconne et de l'antipathie que l'avarice 
sordide du cardinal devait inspirer à la folle insouciance de notre 
mousquetaire: n'avez-vous point là l'impression exacte qu'ont dû 
éprouver les contemporains? 
Les personnages ne sont pas seuls à avoir plus de vérité; c'est dans un 
milieu réel que ces êtres réels vivent et s'agitent. 
Voyez par exemple, toujours chez Courtilz de Sandras, le monde 
turbulent et aventureux, un peu fou, mais si brillant, de la Fronde: Conti 
qui se révolte, les intrigues du Coadjuteur, «la fille aînée du duc 
d'Orléans, qui étoit une Princesse plus propre à porter un justaucorps 
qu'une jupe», et les soeurs Mancini, avec toutes les ambitions dont elles 
sont le centre. Le spectacle de la rue n'est ni moins bigarré, ni moins 
amusant: bretteurs et duellistes, mousquetaires ou «mouches» du 
lieutenant de police,    
    
		
	
	
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