contrôlé, vérifié; tout a été puisé aux bonnes sources; tout est historique, 
comme ils disent. Il faut se défier de leurs préfaces, de leurs postfaces, 
et de toutes leurs notes explicatives et justificatives. N'est-il donc pas 
assez visible que, de vraisemblance et de fidélité, il ne saurait être 
question? que, «sous des noms romains», c'est «notre portrait», 
c'est-à-dire celui de leurs contemporains, qu'ils tracent? et que ce n'est 
par conséquent pas la société des temps passés, mais celle qu'ils avaient 
sous les yeux, dont ils s'appliquent à reproduire l'image? Malgré toutes 
les apparences, on s'acheminait si peu vers le roman historique qu'on lui 
tournait exactement le dos. 
D'autant--et le nouvel abus est tout aussi grave--d'autant que l'histoire 
n'est souvent pour eux tous, surtout pour elles toutes, qu'«un voile 
ingénieux, un prétexte» à couvrir les plus ridicules et les plus plates 
inventions. L'étiquette:historique a été mise aux premiers feuillets, il 
suffit; le romancier, le coeur léger et débarrassé de tout scrupule, court 
à son vrai sujet, c'est-à-dire à une intrigue d'ordinaire étrangement 
compliquée et encore plus invraisemblable. Au surplus est-il 
parfaitement inutile de s'arrêter plus longtemps à prouver l'évidence 
même. Autant vaudrait s'attacher à démontrer que Florian n'a écrit 
Gonzalve de Cordoue que pour respecter l'histoire, et que les lettres
adressées de tous les coins du monde--il y en a même une d'«un 
Anglais de la Caroline»!--à Marmontel, au sujet de_Bélisaire_, n'ont 
d'autre objet que de le féliciter de la vérité historique de son oeuvre! 
Il est sans doute plus intéressant, pour faire voir quelles racines 
profondes avait poussées le mal, de le montrer infectant le 
commencement même du XIXe siècle, c'est-à-dire l'époque du succès 
européen de Walter Scott. Comme une épidémie qui, malgré toutes les 
précautions et en dépit de toutes les mesures, va toujours se propageant, 
et, sans faire d'aussi effrayants ravages qu'à ses débuts, frappe toujours 
quelques victimes, la contagion du roman pseudo-historique continue 
de sévir, malgré les glorieux exemples venus d'outre-Manche. Il fut 
donné à Mme de Genlis de voir la lumière, mais la lumière ne l'éclaira 
point. Elle connut Walter Scott et elle défendit contre lui sa conception 
surannée du roman historique par des raisons singulièrement faibles et 
malheureuses, et par des ouvrages plus faibles et plus malheureux 
encore. 
Veut-elle nous décrire par exemple les horreurs d'un siège, elle dira 
comme au temps de d'Urfé ou de Mme Durand: «Les cornemuses 
devinrent muettes; on n'entendit plus que le bruit des armes et des 
trompettes belliqueuses. Les jeunes filles redoutaient de rencontrer ces 
militaires épars dans les champs trop souvent dévastés par eux! mais, 
émues et curieuses, elles se cachaient pour les voir, et elles admiraient 
en secret leur bonne mine, l'assurance et la fierté de leur maintien. 
_Elles les comparaient aux villageois, et plus d'un pâtre eut à se 
plaindre de celle qu'il aimait_.»(_Siège de La Rochelle_, page 200.) 
Faut-il ajouter que l'oeuvre de Mme de Genlis abonde en traits de cette 
force? 
Et pourtant, malgré ces énormes, ces insupportables et irritants défauts, 
un des caractères, pas le plus important, mais un des caractères du 
roman historique subsiste dans les oeuvres du groupe. Ce n'est jamais 
l'époque contemporaine, assez rarement les temps modernes, presque 
toujours au contraire les siècles passés, que ces romanciers choisissent 
pour encadrer leurs scènes. L'évocation de civilisations lointaines, de 
sociétés différentes ou disparues, même quand l'évocation est
ridiculement fausse, ne laisse pas d'exhaler comme un vague parfum de 
poésie. Doucement sollicitée, l'imagination continue ce que l'écrivain a 
tant bien que mal commencé. Tous ces romains et ces druides, ces 
Perses et ces Assyriens, ces Gaulois et ces Arabes, dépaysent 
agréablement le lecteur, quoi qu'il en ait, et il flotte sur l'oeuvre une 
espèce de clair-obscur, dont le romantisme devait sentir l'attirante 
puissance. En appliquant donc, même inconsciemment, un des 
principes du roman historique, c'était une espèce d'ébauche que ces 
pauvres écrivains donnaient du genre encore à naître. Ils méritent en 
conséquence de n'être pas complètement oubliés; et c'est tout ce qu'il 
importait de constater ici. 
 
CHAPITRE II 
Le courant réaliste. 
La nécessité d'obéir aux aspirations de l'époque et de se conformer, du 
moins mal possible, à l'idéal littéraire d'alors, avait dicté aux auteurs du 
premier groupe le choix de leurs sujets. Les mêmes raisons imposèrent 
aux écrivains de celui-ci la matière de leurs romans et leur mode 
d'exécution. 
Vers la fin du XVIIe siècle, les théories de l'école de 1660 ont 
momentanément triomphé. C'en est fait des longs récits à la Scudéry. 
Les attaques répétées de Molière, les succès éclatants de Racine, 
surtout les inépuisables et mordantes railleries de Boileau, en ont eu 
raison. Et les Almahide, les _Célinte_, les _Princesse de Clèves_, 
c'est-à-dire d'assez courtes nouvelles, remplacent désormais les prolixes 
_Artamène_ ou les interminables _Cléopâtre_. La vogue des 
«caractères» et des «portraits», l'influence du théâtre comique 
favorisent encore un changement auquel les    
    
		
	
	
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