Le Monde comme il va, vision de Babouc | Page 2

Voltaire
tu seras partout bien re?u.
[1] L'��dition de 1750, dont j'ai parl�� dans ma pr��face, porte de plus ces mots: ?C'est un assez beau pr��sent.? B.
Babouc monta sur son chameau, et partit avec ses serviteurs. Au bout de quelques journ��es, il rencontra vers les plaines de Sennaar l'arm��e persane, qui allait combattre l'arm��e indienne. Il s'adressa d'abord �� un soldat qu'il trouva ��cart��. Il lui parla, et lui demanda quel ��tait le sujet de la guerre. Par tous les dieux, dit le soldat, je n'en sais rien; ce n'est pas mon affaire; mon m��tier est de tuer et d'��tre tu�� pour gagner ma vie; il n'importe qui je serve. Je pourrais bien m��me d��s demain passer dans le camp des Indiens; car on dit qu'ils donnent pr��s d'une demi-drachme de cuivre par jour �� leurs soldats de plus que nous n'en avons dans ce maudit service de Perse. Si vous voulez savoir pourquoi on se bat, parlez �� mon capitaine.
Babouc ayant fait un petit pr��sent au soldat entra dans le camp. Il fit bient?t connaissance avec le capitaine, et lui demanda le sujet de la guerre. Comment voulez-vous que je le sache? dit le capitaine, et que m'importe ce beau sujet? J'habite �� deux cents lieues de Pers��polis; j'entends dire que la guerre est d��clar��e; j'abandonne aussit?t ma famille, et je vais chercher, selon notre coutume, la fortune ou la mort, attendu que je n'ai rien �� faire. Mais vos camarades, dit Babouc, ne sont-ils pas un peu plus instruits que vous? Non, dit l'officier; il n'y a gu��re que nos principaux satrapes qui savent bien pr��cis��ment pourquoi on s'��gorge.
Babouc ��tonn�� s'introduisit chez les g��n��raux; il entra dans leur familiarit��. L'un d'eux lui dit enfin: La cause de cette guerre, qui d��sole depuis vingt ans l'Asie, vient originairement d'une querelle entre un eunuque d'une femme du grand roi de Perse, et un commis d'un bureau du grand roi des Indes. Il s'agissait d'un droit qui revenait �� peu pr��s �� la trenti��me partie d'une darique[2]. Le premier ministre des Indes et le n?tre soutinrent dignement les droits de leurs ma?tres. La querelle s'��chauffa. On mit de part et d'autre en campagne une arm��e d'un million de soldats. Il faut recruter cette arm��e tous les ans de plus de quatre cent mille hommes. Les meurtres, les incendies, les ruines, les d��vastations se multiplient, l'univers souffre, et l'acharnement continue. Notre premier ministre et celui des Indes protestent souvent qu'ils n'agissent que pour le bonheur du genre humain; et �� chaque protestation il y a toujours quelques villes d��truites et quelque province ravag��e.
[2] La darique vaut vingt-quatre francs: vojez tome XXXII, page 494. B.
Le lendemain, sur un bruit qui se r��pandit que la paix allait ��tre conclue, le g��n��ral persan et le g��n��ral indien s'empress��rent de donner bataille; elle fut sanglante. Babouc en vit toutes les fautes et toutes les abominations; il fut t��moin des manoeuvres des principaux satrapes, qui firent ce qu'ils purent pour faire battre leur chef. Il vit des officiers tu��s par leurs propres troupes; il vit des soldats qui achevaient d'��gorger leurs camarades expirants, pour leur arracher quelques lambeaux sanglants, d��chir��s et couverts de fange. Il entra dans les h?pitaux o�� l'on transportait les bless��s, dont la plupart expiraient par la n��gligence inhumaine de ceux m��mes que le roi de Perse payait ch��rement pour les secourir. Sont-ce l�� des hommes, s'��cria Babouc, ou des b��tes f��roces? Ah! je vois bien que Pers��polis sera d��truite."
Occup�� de cette pens��e, il passa dans le camp des Indiens; il y fut aussi bien re?u que dans celui des Perses, selon ce qui lui avait ��t�� pr��dit; mais il y vit tous les m��mes exc��s qui l'avaient saisi d'horreur. Oh, oh! dit-il en lui-m��me, si l'ange Ituriel veut exterminer les Persans, il faut donc que l'ange des Indes d��truise aussi les Indiens. S'��tant ensuite inform�� plus en d��tail de ce qui s'��tait pass�� dans l'une et l'autre arm��e, il apprit des actions de g��n��rosit��, de grandeur d'ame, d'humanit��, qui l'��tonn��rent et le ravirent. Inexplicables humains, s'��cria-t-il, comment pouvez-vous r��unir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes?
Cependant la paix fut d��clar��e. Les chefs des deux arm��es, dont aucun n'avait remport�� la victoire, mais qui, pour leur seul int��r��t, avaient fait verser le sang de tant d'hommes, leurs semblables, all��rent briguer dans leurs cours des r��compenses. On c��l��bra la paix dans des ��crits publics, qui n'annon?aient que le retour de la vertu et de la f��licit�� sur la terre. Dieu soit lou��! dit Babouc; Pers��polis sera le s��jour de l'innocence ��pur��e; elle ne sera point d��truite, comme le voulaient ces vilains g��nies: courons sans tarder dans cette capitale de l'Asie.

II. Il arriva dans cette ville immense par l'ancienne entr��e, qui ��tait toute barbare, et dont la rusticit�� d��go?tante offensait les yeux[3]. Toute
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