apporter son dîner. Mais à l'heure 
accoutumée les domestiques n'étaient pas venus, la faim avait 
commencé de se faire sentir; néanmoins, le Castelvétéranois avait tenu 
bon et avait passé la nuit à appeler, à crier, à frapper le long des murs et 
à réclamer son dîner: tout avait été inutile, les murs avaient fait les 
sourds, et le prisonnier était resté à jeun. 
Le matin, le gardien était entré vers les neuf heures, et le fou lui avait 
demandé impérieusement son déjeuner. Le gardien lui avait alors 
tranquillement demandé un ou deux écus pour aller l'acheter en ville. 
L'affamé avait fouillé dans ses poches, et n'y ayant rien trouvé, il avait 
demandé du crédit; ce à quoi le gardien avait répondu que le crédit était 
bon pour les grands seigneurs, mais qu'on ne faisait pas crédit à de la
canaille comme lui. Alors le pauvre diable avait réfléchi profondément, 
et avait fini par demander au gardien ce qu'il fallait qu'il fit pour se 
procurer de l'argent. Le gardien lui dit que s'il voulait l'aider à porter au 
grenier le bois qui était à la cave, à la douzième brassée il lui donnerait 
deux grains; qu'avec deux grains il aurait un pain de deux livres, et 
qu'avec ce pain de deux livres il apaiserait son appétit. Cette condition 
avait paru fort dure à l'ex-aristocrate; mais enfin, comme il lui 
paraissait plus dur encore de ne pas déjeuner après s'être passé de dîner 
la veille, il avait suivi le gardien, était descendu avec lui à la cave, avait 
porté ses douze brassées de bois au grenier, avait reçu ses deux grains, 
et en avait acheté un pain de deux livres qu'il avait dévoré. 
A partir de ce moment, la chose avait été toute seule. Le fou s'était 
remis à porter son bois pour gagner son dîner. Comme il en avait porté 
trente-six brassées au lieu de douze, le dîner avait été trois fois meilleur 
que le déjeuner. Il avait pris goût à cette amélioration, et le lendemain, 
après avoir passé une nuit parfaitement tranquille, il s'était mis à faire la 
chose de lui-même. 
Depuis ce temps, on ne pouvait plus l'arracher à cet exercice, qu'il 
continuait de prendre, comme on l'a vu, même les dimanches et les 
jours de fête; seulement, quand tout le bois était monté de la cave au 
grenier, il le redescendait du grenier à la cave, et vice versa. 
Il y avait un an qu'il faisait ce métier, le côté splénétique de sa folie 
avait complètement disparu; il était redevenu, sinon gras, du moins fort, 
car sa santé physique était parfaitement rétablie, grâce au travail assidu 
qu'il faisait. Dans quelques jours, le baron se proposait d'attaquer la 
partie morale, en lui disant qu'on était à la recherche de papiers qui 
pourraient bien prouver que l'accusation de substitution dont il était 
victime était fausse. Mais si bien guéri que son pensionnaire dût jamais 
être, le baron Pisani nous assura qu'il ne le laisserait sortir que sous la 
promesse formelle que, quelque part qu'il fût, il monterait tous les jours 
de la cave au grenier, ou descendrait tous les jours du grenier à la cave, 
douze charges de bois, pas une de plus, pas une de moins. 
Comme tous les fous étaient dans le jardin, à l'exception de trois ou 
quatre qu'on n'osait laisser communiquer avec les autres parce qu'ils 
étaient atteints de folie furieuse, le baron nous conduisit voir d'abord 
l'établissement avant de nous montrer ceux qui l'habitaient. Chaque 
malade avait une cellule, enjolivée ou attristée selon son caprice. L'un,
qui se prétendait fils du roi de la Chine, avait une quantité d'étendards 
de soie, chargés de dragons et de serpents de toutes les formes peints 
dessus, avec toute sorte d'ornements impériaux en papiers dorés. Sa 
folie était douce et gaie, et le baron Pisani espérait le guérir en lui 
faisant lire un jour sur une gazette que son père venait d'être détrôné, et 
avait renoncé à la couronne pour lui et sa postérité. L'autre, dont la folie 
était de se croire mort, avait un lit en forme de bière, dont il ne sortait 
que drapé en fantôme; sa chambre était toute tendue de crêpe noir avec 
des larmes d'argent. Nous demandâmes au baron comment il comptait 
guérir celui-là.--Rien de plus facile, nous répondit-il; j'avancerai le 
jugement dernier de trois ou quatre mille ans. Une nuit, je l'éveillerai au 
son de la trompette, et je ferai entrer un ange qui lui ordonnera de se 
lever de la part de Dieu. 
Celui-là était depuis trois ans dans la maison; et, comme il allait de 
mieux en mieux, il n'avait plus que cinq ou six mois à attendre la 
résurrection éternelle. 
En sortant de cette chambre nous entendîmes de véritables 
rugissements sortir d'une chambre voisine; le baron nous demanda alors 
si nous voulions    
    
		
	
	
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