prétendants descendent aussitôt dans la cour. Il y avait sur
l'escalier une pie et un corbeau. Le corbeau criait, Battez-vous,
battez-vous; la pie, Ne vous battez pas. Cela fit rire le prince; les deux
rivaux y prirent garde à peine: ils commencent le combat; tous les
courtisans fesaient un cercle autour d'eux. La princesse, se tenant
toujours renfermée dans sa tour, ne voulut point assister à ce spectacle;
elle était bien loin de se douter que son amant fût à Cachemire, et elle
avait tant d'horreur pour Barbabou, qu'elle ne voulait rien voir. Le
combat se passa le mieux du monde; Barbabou fut tué roide, et le
peuple en fut charmé parcequ'il était laid, et que Rustan était fort joli:
c'est presque toujours ce qui décide de la faveur publique.
Le vainqueur revêtit la cotte de maille, l'écharpe, et le casque du vaincu,
et vint, suivi de toute la cour, au son des fanfares, se présenter sous les
fenêtres de sa maîtresse, Tout le monde criait: Belle princesse, venez
voir votre beau mari qui a tué son vilain rival; ses femmes répétaient
ces paroles. La princesse mit par malheur la tête à la fenêtre, et voyant
l'armure d'un homme qu'elle abhorrait, elle courut en désespérée à son
coffre de la Chine, et tira le javelot fatal qui alla percer son cher Rustan
au défaut de la cuirasse; il jeta un grand cri, et à ce cri la princesse crut
reconnaître la voix de son malheureux amant.
Elle descend échevelée, la mort dans les yeux et dans le coeur. Rustan
était déjà tombé tout sanglant dans les bras de son père. Elle le voit: ô
moment! ô vue! ô reconnaissance dont on ne peut exprimer ni la
douleur, ni la tendresse, ni l'horreur! Elle se jette sur lui, elle l'embrasse:
Tu reçois, lui dit-elle, les premiers et les derniers baisers de ton amante
et de ta meurtrière. Elle retire le dard de la plaie, l'enfonce dans son
coeur, et meurt sur l'amant qu'elle adore. Le père épouvanté, éperdu,
prêt à mourir comme elle, tâche en vain de la rappeler à la vie; elle
n'était plus. Il maudit ce dard fatal, le brise en morceaux, jette au loin
ses deux diamants funestes; et, tandis qu'on prépare les funérailles de sa
fille, au lieu de son mariage, il fait transporter dans son palais Rustan
ensanglanté, qui avait encore un reste de vie.
On le porte dans un lit. La première chose qu'il voit aux deux côtés de
ce lit de mort, c'est Topaze et Ébène. Sa surprise lui rendit un peu de
force. Ah! cruels, dit-il, pourquoi m'avez-vous abandonné? peut-être la
princesse vivrait encore; si vous aviez été près du malheureux Rustan.
Je ne vous ai pas abandonné un seul moment, dit Topaze. - J'ai toujours
été près de vous, dit Ébène.
Ah! que dites-vous ? pourquoi insulter à mes derniers moments?
répondit Rustan d'une voix languissante. Vous pouvez m'en croire, dit
Topaze; vous savez que je n'approuvai jamais ce fatal voyage dont je
prévoyais les horribles suites. C'est moi qui étais l'aigle qui a combattu
contre le vautour, et qu'il a déplumé; j'étais l'éléphant qui emportait le
bagage, pour vous forcer à retourner dans votre patrie; j'étais l'âne rayé
qui vous ramenait malgré vous chez votre père: c'est moi qui ai égaré
vos chevaux; c'est moi qui ai formé le torrent qui vous empêchait de
passer; c'est moi qui ai élevé la montagne qui vous fermait un chemin si
funeste; j'étais le médecin qui vous conseillait l'air natal; j'étais la pie
qui vous criait de ne point combattre.
Et moi, dit Ébène, j'étais le vautour qui a déplumé l'aigle; le rhinocéros
qui donnait cent coups de corne à l'éléphant, le vilain qui battait l'âne
rayé; le marchand qui vous donnait des chameaux pour courir à votre
perte; j'ai bâti le pont sur lequel vous avez passé; j'ai creusé la caverne
que vous avez traversée; je suis le médecin qui vous encourageait à
marcher; le corbeau qui vous criait de vous battre.
Hélas! souviens-toi des oracles, dit Topaze: Si tu vas à l'orient, tu seras
à l'occident. Oui, dit Ébène, on ensevelit ici les morts le visage tourné à
l'occident: l'oracle était clair, que ne l'as-tu compris? Tu as possédé, et
tu ne possédais pas; car tu avais le diamant, mais il était faux, et tu n'en
savais rien. Tu es vainqueur, et tu meurs; tu es Rustan, et tu cesses de
l'être: tout a été accompli.
Comme il parlait ainsi, quatre ailes blanches couvrirent le corps de
Topaze, et quatre ailes noires celui d'Ébène. Que vois-je? s'écria Rustan.
Topaze et Ébène répondirent ensemble: Tu vois tes deux génies. Eh!
messieurs, leur dit le malheureux Rustan, de quoi vous mêliez-vous ? et
pourquoi deux génies pour un pauvre homme? C'est la loi, dit Topaze
chaque

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