guerrier d'une intrépidité rare. 
Il est, en polémique, de l'école de Napoléon et des grands capitaines qui 
savent qu'on ne se défend victorieusement qu'en prenant l'offensive et 
que, se laisser attaquer, c'est être déjà à demi vaincu. Et il est venu
m'attaquer dans mon petit bois, au bord de mon onde pure. C'est un 
rude assaillant. Il y va de l'ongle et des dents, sans compter les feintes 
et les ruses. J'entends par là qu'en polémique il a diverses méthodes et 
qu'il ne dédaigne point l'intuitive, quand la déductive ne suffit pas. Je 
ne troublais point son eau. Mais il est contrariant et même un peu 
querelleur. C'est le défaut des braves. Je l'aime beaucoup ainsi. N'est-ce 
point Nicolas, son maître et le mien, qui a dit: 
Achille déplairait moins bouillant et moins prompt. 
J'ai beaucoup de désavantages s'il me faut absolument combattre M. 
Brunetière. Je ne signalerai pas les inégalités trop certaines et qui 
sautent aux yeux. J'en indiquerai seulement une qui est d'une nature 
toute particulière; c'est que, tandis qu'il trouve ma critique fâcheuse, je 
trouve la sienne excellente. Je suis par cela même réduit à cet état de 
défensive qui, comme nous le disions tout à l'heure, est jugé mauvais 
par tous les tacticiens. Je tiens en très haute estime les fortes 
constructions critiques de M. Brunetière. J'admire la solidité des 
matériaux et la grandeur du plan. Je viens de lire les leçons professées à 
l'École normale par cet habile maître de conférences, sur l'Évolution de 
la critique depuis la Renaissance jusqu'à nos jours, et je n'éprouve 
aucun déplaisir à dire très haut que les idées y sont conduites avec 
beaucoup de méthode et mises dans un ordre heureux, imposant, 
nouveau. Leur marche, pesante mais sûre, rappelle cette manoeuvre 
fameuse des légionnaires s'avançant serrés l'un contre l'autre et couverts 
de leurs boucliers, à l'assaut d'une ville. Cela se nommait faire la tortue, 
et c'était formidable. Il se mêle, peut-être, quelque surprise à mon 
admiration quand je vois où va cette armée d'idées. M. Ferdinand 
Brunetière se propose d'appliquer à la critique littéraire les théories de 
l'évolution. Et, si l'entreprise en elle-même semble intéressante et 
louable, on n'a pas oublié l'énergie déployée récemment par le critique 
de la Revue des Deux Mondes pour subordonner la science à la morale 
et pour infirmer l'autorité de toute doctrine fondée sur les sciences 
naturelles. C'était à l'occasion du Disciple et l'on sait si M. Brunetière 
ménageait alors les remontrances à ceux qui prétendaient introduire les 
théories transformistes dans quelque canton de la psychologie ou de la 
sociologie. Il repoussait les idées darwiniennes au nom de la morale
immuable. «Ces idées, disait-il expressément, doivent être fausses, 
puisqu'elles sont dangereuses.» Et maintenant, il fonde la critique 
nouvelle sur l'hypothèse de l'évolution. «Notre projet, dit-il, n'est autre 
que d'emprunter de Darwin et de Hæckel le secours que M. Taine a 
emprunté de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier.» Je sais bien qu'autre 
chose est de professer, comme M. Sixte, l'irresponsabilité des criminels 
et l'indifférence absolue en matière de morale, autre chose est 
d'appliquer aux genres littéraires les lois qui président à l'évolution des 
espèces animales et végétales. Je ne dis pas du tout que M. Brunetière 
se démente et se contredise. Je marque un trait de sa nature, un tour de 
son caractère, qui est, avec beaucoup d'esprit de suite, de donner 
volontiers dans l'inattendu et dans l'imprévu. On a dit, un jour, qu'il 
était paradoxal, et il semblait bien que ce fût par antiphrase, tant sa 
réputation de bon raisonneur était solidement établie. Mais on a vu à la 
réflexion qu'il est, en effet, un peu paradoxal à sa manière. Il est 
prodigieusement habile dans la démonstration: il faut qu'il démontre 
toujours, et il aime parfois à soutenir fortement des opinions 
extraordinaires et même stupéfiantes. 
Par quel sort cruel devais-je aimer et admirer un critique qui correspond 
si peu à mes sentiments! Pour M. Ferdinand Brunetière, il y a 
simplement deux sortes de critiques, la subjective, qui est mauvaise et 
l'objective, qui est bonne. Selon lui, M. Jules Lemaître, M. Paul 
Desjardins, et moi-même, nous sommes atteints de subjectivité, et c'est 
le pire des maux; car, de la subjectivité, on tombe dans l'illusion, dans 
la sensualité et dans la concupiscence, et l'on juge les oeuvres humaines 
par le plaisir qu'on en reçoit, ce qui est abominable. Car il ne faut pas se 
plaire à quelque ouvrage d'esprit avant de savoir si l'on a raison de s'y 
plaire; car, l'homme étant un animal raisonnable, il faut d'abord qu'il 
raisonne; car il est nécessaire d'avoir raison et il n'est pas nécessaire de 
trouver de l'agrément; car le propre de l'homme est de chercher à 
s'instruire par le moyen de la dialectique, lequel est infaillible; car on 
doit toujours mettre une vérité au bout d'un raisonnement, comme un 
noeud    
    
		
	
	
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