la science, de la mécanique, 
de la physique et de la chimie modernes; après avoir constaté que la 
danse du ventre n'est amusante que dans les pays où on agite des 
ventres nus, et que les autres danses arabes n'ont de charme et de 
couleur que dans les ksours blancs d'Algérie, je me suis dit qu'en 
définitive aller là de temps en temps serait une chose fatigante mais 
distrayante, dont on se reposerait ailleurs, chez soi ou chez ses amis. 
Mais je n'avais point songé à ce qu'allait devenir Paris envahi par 
l'univers. 
Dès le jour, les rues sont pleines, les trottoirs roulent des foules comme 
des torrents grossis. Tout cela descend vers l'Exposition, ou en revient, 
ou y retourne. Sur les chaussées, les voitures se tiennent comme les 
wagons d'un train sans fin. Pas une n'est libre, pas un cocher ne consent 
à vous conduire ailleurs qu'à l'Exposition, ou à sa remise quand il va 
relayer. Pas de coupés aux cercles. Ils travaillent maintenant pour le 
rastaquouère étranger; pas une tableaux restaurants, et pas un ami qui 
dîne chez lui ou qui consente à dîner chez vous. 
Quand on l'invite, il accepte à la condition qu'on banquettera sur la tour 
Eiffel. C'est plus gai. Et tous, comme par suite d'un mot d'ordre, ils 
vous y convient ainsi tous les jours de la semaine, soit pour déjeuner, 
soit pour dîner. 
Dans cette chaleur, dans cette poussière, dans cette puanteur, dans cette 
foule de populaire en goguette et en transpiration, dans ces papiers gras 
traînant et voltigeant partout, dans cette odeur de charcuterie et de vin 
répandu sur les bancs, dans ces haleines de trois cent mille bouches 
soufflant le relent de leurs nourritures, dans le coudoiement, dans le 
frôlement, dans l'emmêlement de toute cette chair échauffée, dans cette 
sueur confondue de tous les peuples semant leurs puces sur les sièges et 
par les chemins, je trouvais bien légitime qu'on allât manger une fois ou 
deux, avec dégoût et curiosité, la cuisine de cantine des gargotiers
aériens, mais je jugeais stupéfiant qu'on pût dîner, tous les soirs, dans 
cette crasse et dans cette cohue, comme le faisait la bonne société, la 
société délicate, la société d'élite, la société fine et maniérée qui, 
d'ordinaire, a des nausées devant le peuple qui peine et sent la fatigue 
humaine. 
Cela prouve d'ailleurs, d'une façon définitive, le triomphe complet de la 
démocratie. 
Il n'y a plus de castes, de races, d'épidermes aristocrates. Il n'y a plus 
chez nous que des gens riches et des gens pauvres. Aucun autre 
classement ne peut différencier les degrés de la société contemporaine. 
Une aristocratie d'un autre ordre s'établit qui vient de triompher à 
l'unanimité à cette Exposition universelle, l'aristocratie de la science, ou 
plutôt de l'industrie scientifique. 
Quant aux arts, ils disparaissent; le sens même s'en efface dans l'élite de 
la nation, qui a regardé sans protester l'horripilante décoration du dôme 
central et de quelques bâtiments voisins. 
Le goût italien moderne nous gagne, et la contagion est telle que les 
coins réservés aux artistes, dans ce grand bazar populaire et bourgeois 
qu'on vient de fermer, y prenaient aussi des aspects de réclame et 
d'étalage forain. 
Je ne protesterais nullement d'ailleurs contre l'avènement et le règne des 
savants scientifiques, si la nature de leur oeuvre et de leurs découvertes 
ne me contraignait de constater que ce sont, avant tout, des savants de 
commerce. 
Ce n'est pas leur faute, peut-être. Mais on dirait que le cours de l'esprit 
humain s'endigue entre deux murailles qu'on ne franchira plus: 
l'industrie et la vente. 
Au commencement des civilisations, l'âme de l'homme s'est précipitée 
vers l'art. On croirait qu'alors une divinité jalouse lui a dit: «Je te 
défends de penser davantage à ces choses-là. Mais songe uniquement à
ta vie d'animal, et je te laisserai faire des masses de découvertes.» 
Voilà, en effet, qu'aujourd'hui l'émotion séductrice et puissante des 
siècles artistes semble éteinte, tandis que des esprits d'un tout autre 
ordre s'éveillent qui inventent des machines de toute sorte, des 
appareils surprenants, des mécaniques aussi compliquées que les corps 
vivants, ou qui, combinant des substances, obtiennent des résultats 
stupéfiants et admirables. Tout cela pour servir aux besoins physiques 
de l'homme, ou pour le tuer. 
Les conceptions idéales, ainsi que la science pure et désintéressée, celle 
de Galilée, de Newton, de Pascal, nous semblent interdites, tandis que 
notre imagination paraît de plus en plus excitable par l'envie de 
spéculer sur les découvertes utiles à l'existence. 
Or, le génie de celui qui, d'un bond de sa pensée, est allé de la chute 
d'une pomme à la grande loi qui régit les mondes, ne semble-t-il, pas né 
d'un germe plus divin que l'esprit pénétrant de l'inventeur américain, du 
miraculeux fabricant de sonnettes, de porte-voix et d'appareils 
lumineux. 
N'est-ce point là le vice secret de l'âme moderne, la marque de son    
    
		
	
	
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