avec 
assurance que la réputation du maître est déjà    faite et 
qu'elle n'est plus à  faire. 
Le secret de ce succès inouï serait peut-être curieux à  rechercher 
mais il n'est pas temps encore. Attendons la fin de ce travail pour le 
mieux comprendre. 
En disant que M. Bergson est en train de se faire, je n'ai donc voulu 
parler que de sa philosophie, qu'il n'a révélée au monde que peu 
à  peu, à  travers les hésitations, on, comme, il l'avoue lui-même, 
«les zigzags d'une doctrine qui se développe, c'est-à -dire qui se 
perd, se retrouve et se corrige indéfiniment elle-même»[8].
Encore aujourd'hui est-elle loin d'être complète. Comportera-t-elle 
une Théodicée, une Morale? et lesquelles?... Bien des doutes sont 
encore permis sur de si graves sujets, et quoiqu'il soit bien délicat et 
presque téméraire de vouloir décrire le tracé de cette seconde 
courbe, de la pensée bergsonienne, avant qu'elle ait été 
formée, nous essayerons, à  la fin de ce volume, d'en indiquer 
l'orientation probable--sous toutes réserves,--les effets de 
l'_Evolution créatrice_ étant toujours «imprévisibles» et 
sans aucune proportion avec leurs antécédents, d'après M. 
Bergson. Au demeurant, ce qui a paru jusqu'Ã   ce jour du nouveau 
système est déjà  considérable, quoique restreint aux faibles 
dimensions de trois volumes de moyenne étendue[9] et de quelques 
articles de revues[10],--sans parler d'un opuscule artistique sur le Rire 
ou la Signification du comique, que notre point de vue nous permettra 
de négliger. 
* * * * * 
Le premier de ces trois volumes, _Essai sur les données 
immédiates de la Conscience_, fut sa thèse de doctorat soutenue 
à  la Sorbonne en 1889. Nous assistions à  cette soutenance avec le 
regretté Mgr d'Hulst et quelques amis, philosophes de profession, 
aux yeux desquels le nouveau Docteur se révéla du premier coup 
comme un penseur original, d'une subtilité infiniment compliquée 
et nuageuse à  la manière de Kant. La seule différence, nous 
semblait-il, c'est que, dans cette pénombre habituelle de la pensée, 
brillait parfois, comme un feu d'artifice, l'image, la métaphore 
à  effet, et même le trait d'esprit français: choses inouïes chez le 
philosophe de Kœnigsberg et tous ses compatriotes. 
L'auditoire en était à  la fois charmé et déconcerté, lorsqu'un 
des membres du jury, le vénérable M. Ravaisson--si j'ai bonne 
mémoire,--interprète peut-être inconscient de cette impression 
générale, se laissa aller--pour terminer le compliment 
d'usage--à  adresser, avec son fin sourire, cet éloge significatif au 
candidat: «Je n'ai pas toujours pu vous saisir, mais j'aime à  croire, 
Monsieur, que vous vous êtes compris!» Aussitôt un murmure
unanime d'approbation souligna ce trait qui portait au vif. 
La difficulté de comprendre cet ouvrage--comme tous les suivants, 
du reste--vient sans doute du fond et de la forme, de ce qui est dit, mais 
encore plus peut-être de ce qui n'est point dit, de ce qui est 
sous-entendu ou dit seulement à  demi-mot et au passage, alors que ce 
serait le plus intéressant et le plus important à  connaître. 
C'est le cadre et l'orientation qui font défaut. L'auteur semble nous 
conduire dans une nuit noire, Ã   travers des chemins de traverse 
étroits et compliqués, sans nous dire où il veut nous mener. Sans 
doute, notre guide a son secret--du moins on doit lui supposer un 
secret,--car on ne peut admettre qu'il nous conduise à  l'aventure. Mais 
ce secret, il ne le révèle que peu à  peu, et par doses fragmentaires 
insuffisantes à  nous rassurer. 
Ainsi, par exemple, dans ce premier volume, son avant-propos nous 
avertit qu'il va traiter de la liberté psychologique et 
résoudre--grâce à  une nouvelle méthode vaguement 
indiquée--les difficultés insurmontables soulevées contre elle. 
Or, celle «nouvelle méthode» n'est pas sans nous inquiéter 
quelque peu, car on pressent déjà  qu'elle pourrait bien devenir le 
principal, au lieu d'être l'accessoire, et déborder le sujet annoncé 
au point de le transformer en un simple épisode. 
De fait, après avoir lu et refermé le volume, cette impression 
persiste et, loin de s'atténuer, redouble. Le malaise produit par 
l'incertitude du but que l'on poursuit devient plus aigu. La liberté 
elle-même, annoncée comme sujet principal de cette étude, a 
passé au second plan. Ce qui domine, c'est la théorie nouvelle du 
Temps ou de la Durée, qui serait plus exactement le titre de l'ouvrage, 
car la Liberté n'est plus qu'un simple corollaire. Cette théorie 
elle-même semble si grosse des conséquences les plus redoutables 
et les plus imprévues, qu'on pressent qu'elle va devenir la base 
infiniment subtile et comme la pointe d'aiguille sur laquelle devra se 
tenir en équilibre la masse imposante de l'édifice futur.
Avant d'examiner la solidité d'un tel fondement, faisons tout de suite 
connaître au lecteur    
    
		
	
	
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