sphinx une stupeur 
admirative et moins de plaisir que de crainte, il ne faut pas s'en étonner. 
Pour nous-mêmes, par bien des côtés, c'est encore une grande énigme. 
Quelle est son étendue réelle? Plus grande que celle de la terre, voilà ce 
qu'on sait le mieux. Sur la surface du globe, l'eau est la généralité, la
terre est l'exception. Mais leur proportion relative: l'eau fait les quatre 
cinquièmes, c'est le plus probable; d'autres ont dit les deux tiers ou les 
trois quarts. Chose difficile à préciser. La terre augmente et diminue; 
elle est toujours en travail; telle partie s'abaisse, et telle monte. 
Certaines contrées polaires, découvertes et notées du navigateur, ne se 
retrouvent plus au voyage suivant. Ailleurs, des îles innombrables, des 
bancs immenses de madrépores, de coraux, se forment, s'élèvent et 
troublent la géographie. 
La profondeur de la mer est bien plus inconnue que son étendue. À 
peine les premiers sondages, peu nombreux et peu certains, ont-ils été 
faits encore. 
Les petites libertés hardies que nous prenons à la surface de l'élément 
indomptable, notre audace à courir sur ce profond inconnu, sont peu, et 
ne peuvent rien faire au juste orgueil que garde la mer. Elle reste, en 
réalité, fermée, impénétrable. Qu'un monde prodigieux de vie, de 
guerre et d'amour, de productions de toute sorte, s'y meuve, on le 
devine bien et déjà on le sait un peu. Mais à peine nous y entrons, nous 
avons hâte de sortir de cet élément étranger. Si nous avons besoin de lui, 
lui, il n'a pas besoin de nous. Il se passe de l'homme à merveille. La 
nature semble tenir peu à avoir un tel témoin. Dieu est là tout seul chez 
lui. 
L'élément que nous appelons fluide, mobile, capricieux, ne change pas 
réellement; il est la régularité même. Ce qui change constamment, c'est 
l'homme. Son corps (dont les quatre cinquièmes ne sont qu'eau, selon 
Berzélius) sera demain évaporé. Cette apparition éphémère, en 
présence des grandes puissances immuables de la nature, n'a que trop 
raison de rêver. Quel que soit son très-juste espoir de vivre en son âme 
immortelle, l'homme n'en est pas moins attristé de ces morts fréquentes, 
des crises qui rompent à chaque instant la vie. La mer a l'air d'en 
triompher. Chaque fois que nous approchons d'elle, il semble qu'elle 
dise du fond de son immutabilité: «Demain tu passes, et moi jamais. 
Tes os seront dans la terre, dissous même à force de siècles, que je 
continuerai encore, majestueuse, indifférente, la grande vie équilibrée 
qui m'harmonise, heure par heure, à la vie des mondes lointains.»
Opposition humiliante qui se révèle durement, et comme avec risée 
pour nous, surtout aux violentes plages, où la mer arrache aux falaises 
des cailloux qu'elle leur relance, qu'elle ramène deux fois par jour, les 
traînant avec un bruit sinistre comme de chaînes et de boulets. Toute 
jeune imagination y voit une image de guerre, un combat, et d'abord 
s'effraye. Puis, observant que cette fureur a des bornes où elle s'arrête, 
l'enfant rassuré hait plutôt qu'il ne craint la chose sauvage qui semble 
lui en vouloir. Il lance à son tour des cailloux à la grande ennemie 
rugissante. 
J'observais ce duel au Havre, en juillet 1831. Une enfant que j'amenais 
là en présence de la mer sentit son jeune courage et s'indigna de ces 
défis. Elle rendait guerre pour guerre. Lutte inégale, à faire sourire, 
entre la main délicate de la fragile créature et l'épouvantable force qui 
en tenait si peu de compte. Mais on ne riait pas longtemps, lorsque 
venait la pensée du peu que vivrait l'être aimé, de son impuissance 
éphémère, en présence de l'infatigable éternité qui nous reprend.--Tel 
fut l'un de mes premiers regards sur la mer. Telles mes rêveries, 
assombries du trop juste augure que m'inspirait ce combat entre la mer 
que je revois et l'enfant que je ne vois plus. 
 
II 
PLAGES, GRÈVES ET FALAISES 
On peut voir l'Océan partout. Partout il apparaîtra imposant et 
redoutable. Tel il est autour des caps qui regardent de tous côtés. Tel, et 
parfois plus terrible, aux lieux vastes, mais circonscrits, où 
l'encadrement des rivages le gêne et l'indigne, où il entre violent avec 
des courants rapides qui souvent heurtent aux écueils. On ne le voit pas 
infini, mais on le sent, on l'entend, on le devine infini, et l'impression 
n'en est que plus profonde. 
C'est celle que j'avais à Granville, sur cette plage tumultueuse de grand 
flot et de grand vent, qui finit la Normandie et va commencer la 
Bretagne. La gaieté riche et aimable, quelquefois un peu vulgaire, des
belles campagnes normandes, disparaît, et par Granville, par le 
dangereux Saint-Michel-en-Grève, on se trouve entré dans un monde 
tout autre. Granville est normand de race, breton d'aspect. Il oppose 
fièrement son rocher à l'assaut épouvantable des vagues, qui tantôt 
apportent du Nord les fureurs discordantes    
    
		
	
	
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