malheur personne ne l'ait aperçu à bord, bientôt la bonté 
du navire et de la mâture sera mise à une rude épreuve; car ce nuage qui accourt, et que 
personne ne voit, est un grain blanc! Rien n'annonce son approche. La mer continue à 
être unie. Le soleil sous lequel le nuage a passé comme un lambeau de la gaze la plus 
transparente, darde ses rayons avec la même ardeur que si rien n'avait intercepté sa vive 
clarté. Ce n'est que lorsqu'un sifflement aigu se fait entendre dans les cordages et dans la 
mâture, qu'on s'aperçoit que le grain blanc est tombé à bord. Tout le monde saute à la 
manoeuvre; l'officier s'élance sur la barre du gouvernail pour aider le timonnier à la 
pousser au vent. Il crie d'amener les voiles; mais déjà la force subite du vent a tellement 
incliné le bâtiment que l'eau est presque rendue aux panneaux, et que la pente de la
mâture empêche les voiles d'amener. Les mâts, surchargés du poids terrible de la rafale, 
plient comme s'ils allaient se briser. Dans un moment aussi alarmant, l'officier, pour le 
salut du navire, se décide à faire larguer les écoutes qui retiennent le point des voiles aux 
bouts de chacune des vergues: les écoutes sont larguées; le vent alors, s'emparant des 
voiles qui ne sont plus tendues, les déchire en lambeaux et les enlève au loin avec un 
fracas effroyable. Le navire cependant, soulagé par la perte de presque toute sa voilure, 
arrive en suivant l'impulsion que lui donne sa barre portée depuis long-temps au vent. Il 
se redresse progressivement. Le grain qui l'avait assailli a paru à peine effleurer la surface 
tranquille de la mer; le calme qu'il a interrompu pendant quelques minutes seulement, 
renaît; on n'entend même plus à bord le sifflement de la rafale qui a passé comme un 
coup de foudre, et qui s'éloigne pour mourir dans l'espace. Mais la mâture a été ébranlée, 
brisée dans quelques parties; les voiles n'ont laissé que des lambeaux sur les vergues que 
l'effort du vent a ployées et dépouillées de leurs agrès. Il faut réparer les avaries, visiter le 
gréement et la mâture pour connaître toute l'étendue des dommages occasionés par le 
grain. C'est ainsi, comme on le voit, qu'au milieu du calme le plus parfait, les marins ont 
encore à redouter les accidents qui menacent à chaque instant leur vie aventureuse. 
 
V. 
L'Abordage. 
Le vent s'est élevé avec violence aux approches de la nuit; des nuages épais cachent le 
ciel, et ont dérobé aux yeux des marins les derniers rayons d'un soleil qui a disparu pâle 
sur un horizon morcelé, pour ainsi dire, par l'agitation des vagues lointaines qui 
s'élevaient comme des montagnes. Le navire reçoit cependant encore la brise par le 
travers, et continue sa route à petites voiles, malgré la mer qui embarque à bord, et 
occasione des coups de roulis dont la mâture est ébranlée. L'obscurité augmente tellement 
à chaque minute, que bientôt les matelots, pour saisir les cargues du petit hunier, sont 
obligés de chercher à tâtons les manoeuvres sur lesquelles leur a dit de se ranger le 
capitaine, dont la voix est emportée par le sifflement du vent et le mugissement des 
vagues. Les hommes placés aux deux bossoirs essaient en vain de distinguer, dans les 
ténèbres, les navires qui, courant à contre-bord, pourraient aborder le bâtiment: la lame 
qui vient se briser sur le bossoir du vent, le couvre à chaque moment de ses flaques 
écumeuses. Un matelot posté en vigie sur la vergue de misaine tient aussi inutilement ses 
regards fixés sur l'espace, où ils se perdent avec inquiétude. Le capitaine crie de temps à 
autre, et dans les intervalles où il croit pouvoir se faire entendre: Veille aux bossoirs! 
Mais personne à bord ne peut rien apercevoir, rien découvrir même à la plus petite 
distance. Les heures s'écoulent dans cette pénible anxiété. Un fanal que l'on a essayé de 
suspendre dans la mâture s'est éteint, ballotté trop violemment par la force du vent et des 
coups de roulis. Des cris se font entendre cependant sur l'avant: _Laisse arriver! laisse 
arriver!_ répète avec force le capitaine, en se précipitant sur la barre, qu'il essaie à 
pousser au vent: C'est un navire qui, naviguant à contre-bord, vient se jeter avec un fracas 
effroyable sur le bâtiment, qu'il aborde par la joue! Le choc renverse tout à bord; la 
mâture tombe; l'avant du navire abordé est défoncé. Les lames s'élèvent en mugissant et 
submergent l'avant, qui reste englouti et qui s'apique dans la mer, en même temps que
l'arrière flotte plus élevé sur les vagues qui le heurtent. En vain les plus intrépides 
saisissent des haches pour couper les parties du gréement qui se sont engagées dans 
l'abordage: tous les efforts sont inutiles, on court dans l'obscurité, les cris    
    
		
	
	
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