sa drisse. Mais des flammes noires ornaient 
ses cacatois. 
Le capitaine de l'Alcyon, qui cherchait à reconnaître la corvette, à l'aide 
de sa longue-vue, fronça soudain les sourcils et frappa du pied. 
--Qu'y a-t-il donc, monsieur? demanda Charles attribuant ces 
mouvements à la mauvaise humeur. 
--Rien de bon! rien de bon!--Lieutenant! 
Un officier s'approcha. 
--Voyez! dit le capitaine en passant la lunette à son second. 
Dès que celui-ci eut regardé il pâlit. 
--Le Corbeau! murmura-t-il. 
--Le Corbeau! répétèrent, en se signant, des matelots qui se trouvaient 
près du lieutenant. 
--Mais qu'est-ce que cela signifie! dit Charles, frappé de la stupeur qui 
se peignait sur le visage des assistants. 
--C'est le Corbeau! 
--Mais encore, capitaine... 
--Allons, il faut nous préparer à mourir. Avoir traversé le grain pour 
tomber sous la griffe du Corbeau, mille sabords! 
--Mais, persista le fils de l'armateur, expliquez-moi au moins de quoi il 
s'agit. 
--Il s'agit, monsieur, répliqua le vieux marin, de faire vos dispositions 
testamentaires. Tenez, voici le Corbeau qui croasse; comprenez-vous!
Comme le capitaine prononçait ces mots, un éclair illumina les ondes 
de l'Atlantique, puis une détonation se fit entendre et deux boulets 
ramés balayèrent le pont de l'Alcyon. 
--C'est un corsaire! s'écria Charles avec impétuosité, il faut nous battre. 
Nous avons des armes et des munitions... 
Le capitaine haussa les épaules. 
--Une embarcation à la mer! ordonna-t-il. 
Quand le canot eut été mis à flots, le commandant y descendit, 
accompagné de quatre vigoureux rameurs. 
--Mais qu'est-ce que cela signifie? répétait Charles étonné d'un incident 
aussi extraordinaire. 
--Cela signifie, monsieur, que dans une heure nous servirons 
probablement de pâture aux requins, lui répliqua le troisième. 
--Pourquoi ne pas nous défendre? 
--Se défendre contre le Corbeau! examinez un peu cette mâchoire! 
IV 
La corvette, poussée par une fraîche brise nord-ouest, nageait 
rapidement, toutes voiles déferlées, depuis ses royales jusqu'à ses focs 
et ses bonnettes hautes et basses. 
C'était un magnifique navire de guerre cambré, svelte, élancé comme 
un yacht, portant fièrement son encolure, et plus fièrement encore ses 
trois flèches qui ployaient comme des baleines sous le fardeau de ses 
toiles gonflées. 
A la proue un immense corbeau, les ailes déployées, semblait prêt à 
fondre sur sa proie. 
Deux caronades, du plus fort calibre, avançaient leurs gueules béantes
au-dessus de l'envergure au menaçant volatile, perché immédiatement 
sous le beaupré. 
Les vingt sabords du Corbeau étaient garnis de vingt canons. 
La gueule de ces vingt canons avait été peinte en rouge comme la ligne 
de la préceinte. 
Sur le pont, au pied des mâts, se tenaient des groupes d'hommes armés 
jusqu'aux dents. 
Tous étaient vêtus de chemises rouges, à large collet rabattu, bordé d'un 
filet noir, et de pantalons gris de fer, serrés à la taille par une ceinture 
de cuir, dans laquelle étaient passés des pistolets, un poignard, et une 
hache à double tranchant. 
Ils avaient la tête et les bras nus. 
Au moment où le canot détaché de l'Alcyon approchait du Corbeau, ce 
dernier amenait sa voilure et préparait ses grappins d'abordage. 
Le capitaine François héla, et peu après son esquif était hissé par les 
palans du Corbeau. 
Un homme se promenait seul sur la dunette. 
Il avait la physionomie dure, le visage bronzé, les yeux pleins d'un feu 
sombre et une épaisse barbe noire. Sa stature était élevée, ses membres 
noués à des attaches souples, nerveuses, ses mouvements brusques, 
impérieux. 
Un chapeau de toile cirée, sans ornement, couvrait son chef, mais sa 
veste en velours brun, ainsi que son pantalon, de même étoffe, étaient 
galonnés d'argent. 
A son côté pendait un sabre turc, et à la main droite il tenait un 
porte-voix. 
Ce personnage paraissait avoir trente ans environ.
Le capitaine de l'Alcyon marcha bravement à lui. 
--Comment s'appelle ta coquille de noix? fit le pirate avec un accent 
gascon très-prononcé. 
--L'Alcyon. 
--De quoi se compose la cargaison! 
--De vins. 
--Et puis? 
--Des conserves. 
--As-tu des passagers? 
--Une vingtaine, pour lesquels je suis venu réclamer votre pitié. 
Le forban sourit ironiquement. 
--Où allais-tu? 
--A la Nouvelle-Orléans. Mais le mauvais temps... 
--Et tu venais! 
--De Marseille. 
--Ah! de Marseille, fit l'autre avec une certaine émotion. 
Ensuite, il se tourna, leva un doigt en l'air; et quatre hommes se jetèrent 
sur le capitaine François, le terrassèrent et lui garottèrent les pieds et les 
poings. Les rameurs qui l'avaient suivi subirent le même sort. 
V 
Déjà le Corbeau accostait l'Alcyon.
Le premier de ces vaisseaux mit en panne et amarra le second à ses 
flancs. 
Les flibustiers se précipitèrent sur leur victime comme des vautours sur 
un cadavre. Nul parmi les matelots du bâtiment marchand n'osa leur 
opposer de résistance. La terreur qu'inspirait le nom seul du Corbeau 
avait glacé d'effroi les plus braves. Tous furent liés et transbordés, ainsi 
que les passagers, à l'exception du fils de l'armateur. 
Charles, maudissant la lâcheté de ces gens, s'était armé d'une paire de    
    
		
	
	
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