la prononciation du C dans les langues pré-latines, eut 
un mouvement d'impatience et s'écria vivement: 
--Pourquoi ne vient-elle pas? Je veux qu'elle vienne! 
Quelques secondes s'écoulèrent, puis j'entendis un bruit de pas 
précipités, et d'une touffe de mimosas, l'enfant, ayant coupé à travers 
les massifs, surgit très pâle. 
En même temps accourait l'oncle: 
--Mais il n'y a pas de bon sens, s'écria-t-il. Comprenez-vous cette petite 
qui est souffrante et que nous retenions à la maison? Elle s'est échappée 
de nos mains et s'est élancée dehors. Oh! nous savions bien que nous la 
retrouverions ici! 
 
III 
Entre ces deux êtres--la chose ne pouvait être discutée--existait une 
attraction intéressante qui se développait chaque jour davantage. 
L'âge vint. Paul avait alors vingt-trois ans, Virginie avait atteint sa 
dix-huitième année. Mon élève n'avait fait dans les sciences pratiques 
que des progrès très relatifs. Tout ce qui était de connaissance courante, 
quotidienne, lui était plus qu'indifférent, et, sans sa prodigieuse 
mémoire, on aurait pu le taxer d'ignorance sur plus d'un point. Par 
contre, il possédait à un degré étonnant les facultés spéciales qui ont 
fait des Mondeux et des Inaudi de véritables prodiges. 
La mémoire persistante des formes, de l'expression graphique des
choses, s'accroissait: il semblait aspirer les images extérieures pour les 
emporter dans le laboratoire de sa pensée et les étudier à loisir. 
Mais--et ici, je puis à peine rendre l'idée qui s'impose à moi--en cette 
sympathisation qui unissait les deux jeunes gens, Paul s'emparait de 
Virginie, il la conquérait, se l'appropriait. 
J'avais suivi jour par jour, minute par minute, ce sentiment qui était 
bien l'amour, en sa hantise complète et délicieuse, mais avec un 
caractère tout spécial. Lui ne vivait que pour elle, mais elle ne vivait 
que par lui; même s'il était absent, elle restait imprégnée des effluves 
dont il l'avait enveloppée. Elle absente, il la gardait près de lui, et je 
l'avais bien des fois surpris, lui parlant comme si elle avait été à ses 
côtés, et, comme je le raillais de sa méprise: 
--Comment se peut-il, disait-il en pointant son doigt dans le vide, que 
vous ne la voyiez pas? Elle est là! 
Phrases d'amoureux, c'est possible: mais dès lors un instinct 
m'avertissait qu'il y avait là autre chose, comme une évocation, à la fois 
intérieure et extérieure, de l'objet qui remplissait sa pensée et qui, pour 
lui seul, se matérialisait hors de lui. Je dis--pour lui seul--n'osant pas 
encore affirmer davantage. 
La bonne Mlle de B. avait suivi avec intérêt les progrès de cette 
affection qui pour elle ne présentait aucun caractère mystérieux. Paul 
était riche, ses goûts et ses aptitudes le destinaient évidemment à la vie 
placide de la campagne. L'oncle de Virginie était mort, sa tante était 
valétudinaire. Il parut donc très naturel que Paul manifestât la volonté 
d'épouser son amie, et, toutes convenances de famille et de situation se 
trouvant réunies, aucun motif n'existait de contrecarrer ses désirs. 
Pour moi, cette union était de longue date indiquée. J'avais compris que 
Paul ne serait jamais apte à prendre un rôle dans la vie active. Étant 
rêveur, tout chez lui évoluait dans le sanctuaire intérieur. Le dernier des 
niais, manoeuvre de la civilisation, aurait eu raison de son inexpérience. 
Quant à Virginie, elle ne s'appartenait plus. A mesure que leur intimité 
s'était resserrée, elle s'était pour ainsi dire anéantie en lui, d'abord de sa
propre volonté, et aussi, surtout peut-être, en raison de cette main mise 
qu'il exerçait sur son être moral et qui était une possession anticipée, 
plus absolue que celle du mariage. De lui à elle, il y avait échange, flux 
et reflux de vitalité. Ils faisaient plus que de s'appartenir, ils 
s'absorbaient l'un en l'autre. 
Ce mariage, véritable consécration, dans le sens pur et élevé du mot, 
eut lieu. 
De ma vie je n'oublierai la cérémonie nuptiale, lumineuse et rayonnante, 
qui les fit pour jamais--je le croyais alors--compagnons de joies et de 
peines, unis pour le bonheur comme pour le malheur, ainsi que dit la 
liturgie calviniste. 
Sous le faisceau de rais tombant des vitraux, j'eus un instant cette 
illusion que ces deux êtres--par un effet de synchromatisme,--se 
fondaient en un seul. Il y avait en ce moment équilibre entre ces deux 
créatures qui se donnaient l'une à l'autre avec une mutuelle abnégation 
du Soi. 
Au matin même de la cérémonie, j'avais accepté une mission en Orient, 
avec obligation de départ immédiat. Il me plaisait, ayant été témoin de 
leur bonheur naissant, de n'en point gêner l'éclosion de ma présence. 
Au sortir de l'église, je fis mes adieux, et, serrant leurs deux mains qui 
se mêlaient dans les miennes, je ne pus discerner quelle était celle de 
l'un ou de l'autre. 
Je leur jetai un dernier signe d'adieu, convaincu d'ailleurs que tôt ou 
tard la vie pratique s'emparerait de mes deux héros de féerie, qui, 
rentrés    
    
		
	
	
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