La confession dun abbé | Page 4

Louis Uhlbach
intimidations ordinaires, que j'ai
besoin d'un secours, délicat autant que tout-puissant... que je m'adresse
à la justice, en dehors des juges qui punissent les crimes bien avérés,
palpables, mais qui ne les empêchent pas, et qui, d'ailleurs, ne punissent
pas toujours.
--Vous excitez ma curiosité! ne put s'empêcher d'avouer le
sous-secrétaire d'État.
--C'est un augure que j'emporte. Puisse-t-il me valoir votre pitié!
--Pour vous, monsieur?
--Oh! moi, il ne faut pas me plaindre. Ce n'est pas pour moi que je suis
ici. Je ne peux plus être ni sauvé, ni perdu. J'ai ma croix; je la porte, et
je veux la porter seul. C'est pour un être innocent, que j'ai recours à
vous.
La voix du vieillard, toujours basse, sonore, s'était mouillée d'une larme
cachée.
Il leva les yeux au plafond, et avant que M. Barbier, intimidé, attiré de
plus en plus par le charme de ce désespoir austère, fût intervenu de
nouveau, l'homme continua avec une politesse extrême:

--Je vous suis profondément reconnaissant, monsieur, de l'audience que
vous m'accordez pour demain; à quelle heure?
--Je suis à mon bureau à dix heures.
--A dix heures, soit.
L'inconnu saluait pour se retirer.
--Vous donnerez votre nom à l'huissier, dit M. Barbier, sans trop de
malice, avertissant ce visiteur qu'il ne s'était pas nommé.
--Mon nom!
Le vieillard s'arrêta, surpris, fit un léger mouvement en arrière; mais
reprenant aussitôt son attitude digne et simple:
--C'est juste!... Mon nom vous ne l'avez pas; voici ma carte.
Dans l'obscurité croissante du cabinet, le sous-secrétaire d'État prit la
carte et la glissa dans une des poches de son gilet; puis,
respectueusement, il reconduisit, comme il eût reconduit un procureur
général, ou un conseiller à la cour de cassation, cet étranger qu'on
n'avait pas voulu introduire.
En traversant le grand salon d'attente, sans doute un peu confus d'être
escorté, l'étranger jeta un regard aux portraits des chanceliers, dont
l'hermine se distinguait dans le crépuscule d'une soirée de mars, et parut
les saluer, en les invoquant. On eût dit qu'il les connaissait de vue.
La politesse de M. Barbier n'était pas due tout entière à la fascination.
Instinctivement, le sous-secrétaire d'État voulait reprendre sur l'huissier
la supériorité que celui-ci avait prétendu s'attribuer en renvoyant un
importun, et, dans le vestibule, saluant une dernière fois l'inconnu:
--C'est convenu; à dix heures; je vous attendrai. On vous indiquera mon
bureau.
--Je le connais, dit l'homme mystérieux, en répondant au salut et en

sortant.
L'huissier tenait ouverte la porte extérieure.
Il se crut obligé de saluer plus bas que ne l'avait fait M. Barbier, ce
solliciteur soudainement réhabilité et transfiguré, qui connaissait les
êtres du ministère, qui était venu souvent sans doute, autrefois, au bon
temps, quand les huissiers étaient considérés et habillés plus souvent à
neuf, à l'époque des belles livrées, sous l'empire.

II
Le sous-secrétaire d'État fit son entrée dans le salon de M. le garde des
sceaux, au moment où celui-ci regardait sa pendule, les sourcils froncés,
et où la pendule sonnait la demie.
Le ministre salua d'un hochement de tête son jeune collaborateur; mais
ne lui fit, ni compliment d'arriver à l'heure exacte, ni reproche d'avoir
failli se faire attendre. Cette ponctualité était d'un zèle suffisant.
Les dîners ministériels, surtout quand ils sont nombreux, paraissent les
repas de corps des croque-morts de l'esprit. On y célèbre l'enterrement
du défunt, mais sans que rien le rappelle.
Les dimensions de la table, la diversité et l'importance des convives, la
peur d'être pris au mot, quand on n'est pas sûr d'en dire plus d'un par
quart d'heure, la présence des domestiques, qui peuvent comparer les
ministres en exercice aux ministres passés, et souvent dénoncer à
ceux-ci les prétentions de ceux-là, l'embarras d'une argenterie d'apparat,
entremêlée de fleurs traditionnelles et qui isole les vis-à-vis, plus
encore que la distance, tout paralyse la conversation générale et ne
permet, tout au plus, que les dialogues entre voisins.
Le sous-secrétaire d'État se trouvait placé à côté du préfet de police.
Tous deux étaient jeunes, tous deux nouveaux en fonction. La lune de
miel des fonctionnaires leur suggère des intempérances de tendresse et

des indiscrétions de bonheur. Tous sont bavards, au début de leur
importance. Leur première fatuité se décèle par la confidence de leurs
bonnes fortunes administratives.
Le préfet égaya le sous-secrétaire d'État par quelques révélations
malicieuses.
La police est un confessionnal et un dispensaire, et, comme les
pénitents ou les malades n'y vont pas offrir leurs confessions, le secret
n'est pas rendu absolument obligatoire par la confiance.
Tout à coup, M. Barbier, qui n'avait à opposer que des cancans
administratifs aux racontars de la police secrète, fit un petit bond sur sa
chaise, et, interrompant son voisin:
--Je vais probablement empiéter sur vos attributions, mon cher préfet.
--A quel propos?
--On s'adresse au ministère de la justice pour prévenir un crime.
--Un complot?
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