veut dire? Conciolini, allez donc voir, 
dépêchez-vous!» 
Conciolini revint au bout de quelques secondes, et se penchant 
respectueusement au-dessus de la rampe près de laquelle le roi se tenait 
accoudé et toujours debout: 
«Sire, dit-il, la signora Porporina est comme morte. On craint qu'elle ne 
puisse pas achever l'opéra. 
--Allons donc! dit le roi en haussant les épaules; qu'on lui donne un 
verre d'eau, qu'on lui fasse respirer quelque chose, et que cela finisse le 
plus tôt possible.» 
Le sopraniste, qui n'avait nulle envie d'impatienter le roi et d'essuyer en 
public une bordée de mauvaise humeur, rentra dans la coulisse en 
courant comme un rat, et le roi se mit à causer avec vivacité avec le 
chef d'orchestre et les musiciens, tandis que la partie du public qui 
s'intéressait beaucoup plus à l'humeur du roi qu'à la pauvre Porporina, 
faisait des efforts inouïs, mais inutiles, pour entendre les paroles du 
monarque. 
Le baron de Poelnitz, grand chambellan du roi et directeur des 
spectacles, vint bientôt rendre compte à Frédéric de la situation. Chez 
Frédéric, rien ne se passait avec cette solennité qu'impose un public 
indépendant et puissant. Le roi était partout chez lui, le spectacle était à 
lui et pour lui. Personne ne s'étonna de le voir devenir le principal 
acteur de cet intermède imprévu. 
«Eh bien! voyons, baron! disait-il assez haut pour être entendu d'une 
partie de l'orchestre, cela finira-t-il bientôt? c'est ridicule! Est-ce que 
vous n'avez pas un médecin dans la coulisse? vous devez toujours avoir 
un médecin sur le théâtre.
--Sire, le médecin est là. Il n'ose saigner la cantatrice, dans la crainte de 
l'affaiblir et de l'empêcher de continuer son rôle. Cependant il sera 
forcé d'en venir là, si elle ne sort pas de cet évanouissement. 
--C'est donc sérieux! ce n'est donc pas une grimace, au moins? 
--Sire, cela me paraît fort sérieux. 
--En ce cas, faites baisser la toile, et allons-nous-en; ou bien que 
Porporino vienne nous chanter quelque chose pour nous dédommager, 
et pour que nous ne finissions pas sur une catastrophe.» 
Porporino obéit, chanta admirablement deux morceaux. Le roi battit 
des mains, le public l'imita, et la représentation fut terminée. Une 
minute après, tandis que la cour et la ville sortaient, le roi était sur le 
théâtre, et se faisait conduire par Poelnitz à la loge de la prima donna. 
Une actrice qui se trouve mal en scène n'est pas un événement auquel 
tout public compatisse comme il le devrait; en général, quelque adorée 
que soit l'idole, il entre tant d'égoïsme dans les jouissances du dilettante, 
qu'il est beaucoup plus contrarié d'en perdre une partie par l'interruption 
du spectacle, qu'il n'est affecté des souffrances et de l'angoisse de la 
victime. Quelques femmes sensibles, comme on disait dans ce temps-là, 
déplorèrent en ces termes la catastrophe de la soirée: 
«Pauvre petite! elle aura eu un chat dans le gosier au moment de faire 
son trille, et, dans la crainte de le manquer, elle aura préféré se trouver 
mal. 
--Moi, je croirais assez qu'elle n'a pas fait semblant, dit une dame 
encore plus sensible: on ne tombe pas de cette force-là quand on n'est 
pas véritablement malade. 
--Ah! qui sait, ma chère? reprit la première; quand on est grande 
comédienne, on tombe comme l'on veut, et on ne craint pas de se faire 
un peu de mal. Cela fait si bien dans le public! 
--Que diable a donc eu cette Porporina ce soir, pour nous faire un pareil
esclandre! disait, dans un autre endroit du vestibule, où se pressait le 
beau monde en sortant, La Mettrie au marquis d'Argens! Est-ce que son 
amant l'aurait battue? 
--Ne parlez pas ainsi d'une fille charmante et vertueuse, répondit le 
marquis; elle n'a pas d'amant, et si elle en a jamais, elle ne méritera pas 
d'être outragée par lui, à moins qu'il ne soit le dernier des hommes. 
--Ah! pardon, marquis! j'oubliais que je parlais au preux chevalier de 
toutes les filles de théâtre, passées, présentes et futures! A propos, 
comment se porte mademoiselle Cochois? 
--Ma chère enfant, disait au même instant la princesse Amélie de 
Prusse, soeur du roi, abbesse de Quedlimburg, à sa confidente ordinaire, 
la belle comtesse de Kleist, en revenant dans sa voiture au palais, as-tu 
remarqué l'agitation de mon frère pendant l'aventure de ce soir? 
--Non, Madame, répondit madame de Maupertuis, grande gouvernante 
de la princesse, personne excellente, fort simple et fort distraite; je ne 
l'ai pas remarquée. 
--Eh! ce n'est pas à toi que je parle, reprit la princesse avec ce ton 
brusque et décidé qui lui donnait parfois tant d'analogie avec Frédéric: 
est-ce que tu remarques quelque chose, toi? Tiens! remarque les étoiles 
dans ce moment-ci: j'ai quelque chose à dire à de Kleist, que je ne veux 
pas que tu entendes.» 
Madame de Maupertuis ferma consciencieusement l'oreille, et la 
princesse, se penchant vers    
    
		
	
	
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