La comedie de la mort | Page 3

Theophile Gaultier
elle defait au miroir sa toilette,?Dans le cristal profond reflechir son squelette
Et sa poitrine a jour,
Riant affreusement, d'un rire sans gencive,?Marbrer de baisers froids sa gorge convulsive,
Et, tenaillant sa main,?Sa main blanche et rosee avec sa main osseuse,?Faire raler ces mots d'une voix caverneuse
Qui n'a plus rien d'humain:
"Femme, vous m'avez fait des promesses sans nombre.?Si vous oubliez, vous, dans ma demeure sombre,
Moi je me ressouviens.?Vous avez dit a l'heure ou la mort me vint prendre,?Que vous me suivriez bientot; lasse d'attendre,
Pour vous chercher je viens!"
Dans un repli de moi, cette pensee etrange?Est la comme un cancer qui m'use et qui me mange;
Mon oeil en devient creux;?Sur mon front nuager de nouveaux plis se fouillent,?De cheveux et de chair mes tempes se depouillent,
Car ce serait affreux!
La mort ne serait plus le remede supreme;?L'homme, contre le sort, dans la tombe elle-meme
N'aurait pas de recours,?Et l'on ne pourrait plus se consoler de vivre,?Par l'espoir tant fete du calme qui doit suivre
L'orage de nos jours.
II.
Dans le fond de mon ame, agitant ma pensee,?Je restais la reveur et la tete baissee
Debout contre un tombeau.?C'etait un marbre neuf, et sur la blanche epaule?D'un genie eplore, les longs cheveux d'un saule
Tombaient comme un manteau.
La bise feuille a feuille emportait la couronne?Dont les debris jonchaient le fut de la colonne;
On aurait dit les pleurs?Que sur la jeune fille, au printemps moissonnee,?Pauvre fleur du matin, avant midi fanee,
Versaient les autres fleurs.
La lune entre les ifs faisait luire sa corne;?De grands nuages noirs couraient sur le ciel morne
Et passaient par devant;?Les feux follets valsaient autour du cimetiere,?Et le saule pleureur secouait sa criniere
Eparpillee au vent.
On entendait des bruits venus de l'autre monde,?Des soupirs de terreur et d'angoisse profonde,
Des voix qui demandaient?Quand donc a leurs tombeaux l'on mettrait des fleurs neuves, Comment allait la terre, et pourquoi donc leurs veuves
Aussi longtemps tardaient?
Tout a coup... j'ose a peine en croire mon oreille,?Sous le marbre entr'ouvert, o terreur! o merveille!
J'entendis qu'on parlait.?C'etait un dialogue, et, du fond de la fosse,?A la premiere voix, une voix aigre et fausse
Par instant se melait.
Le froid me prit. Mes dents d'epouvante claquerent;?Mes genoux chancelants sous moi s'entrechoquerent.
Je compris que le ver?Consommait son hymen avec la trepassee,?Eveillee en sursaut dans sa couche glacee,
Par cette nuit d'hiver.
LA TREPASSEE.
Est-ce une illusion? Cette nuit tant revee,?La nuit du mariage elle est donc arrivee?
C'est le lit nuptial.?Voici l'heure ou l'epoux, jeune et parfume, cueille?La beaute de l'epouse, et sur son front effeuille
L'oranger virginal.
LE VER.
Cette nuit sera longue, o blanche trepassee,?Avec moi, pour toujours, la mort t'a fiancee;?Ton lit c'est le tombeau.?Voici l'heure ou le chien contre la lune aboie,?Ou le pale vampire erre et cherche sa proie,?Ou descend le corbeau.
LA TREPASSEE.
Mon bien-aime, viens donc! l'heure est deja passee?Oh! tiens-moi sur ton coeur, entre tes bras pressee.
J'ai bien peur, j'ai bien froid.?Rechauffe a tes baisers ma bouche qui se glace.?Oh! viens, je tacherai de te faire une place
Car le lit est etroit!
LE VER.
Cinq pieds de long sur deux de large. La mesure?Est prise exactement; cette couche est trop dure,
L'epoux ne viendra pas.?Il n'entend pas tes cris. Il rit dans quelque fete.?Allons, sur ton chevet repose en paix ta tete
Et recroise tes bras.
LA TREPASSEE.
Quel est donc ce baiser humide et sans haleine,?Cette bouche sans levres est-ce une bouche humaine,
Est-ce un baiser vivant??O prodige! A ma droite, a ma gauche, personne.?Mes os craquent d'horreur, toute ma chair frissonne
Comme un tremble au grand vent.
LE VER.
Ce baiser c'est le mien: je suis le ver de terre;?Je viens pour accomplir le solennel mystere.
J'entre en possession;?Me voila ton epoux, je te serai fidele.?Le hibou tout joyeux fouettant l'air de son aile
Chante notre union.
LA TREPASSEE.
Oh! si quelqu'un passait aupres du cimetiere!?J'ai beau heurter du front les planches de ma biere,
Le couvercle est trop lourd!?Le fossoyeur dort mieux que les morts qu'il enterre.?Quel silence profond! la route est solitaire;
L'echo lui-meme est sourd.
LE VER.
A moi tes bras d'ivoire, a moi ta gorge blanche,?A moi tes flancs polis avec ta belle hanche
A l'ondoyant contour;?A moi tes petits pieds, ta main douce et ta bouche,?Et ce premier baiser que ta pudeur farouche
Refusait a l'amour.
LA TREPASSEE.
C'en est fait! c'en est fait! Il est la! sa morsure?M'ouvre au flanc une lame et profonde blessure;
Il me ronge le coeur.?Quelle torture! O Dieu, quelle angoisse cruelle!?Mais que faites-vous donc lorsque je vous appelle,
O ma mere, o ma soeur?
LE VER.
Dans leur ame deja ta memoire est fanee,?Et pourtant sur ta fosse, o pauvre abandonnee,
L'oranger est tout frais.?La tenture funebre a peine repliee,?Comme un songe d'hier elles t'ont oubliee,
Oubliee a jamais.
LA TREPASSEE.
L'herbe pousse plus vite au coeur que sur la fosse;?Une pierre, une croix, le terrain qui se hausse,
Disent qu'un mort est la.?Mais quelle croix fait voir une tombe dans l'ame!?Oubli! seconde mort, neant que je reclame,
Arrivez, me voila!
LE VER.
Console-toi.--La mort donne la vie.--Eclose?A l'ombre d'une croix l'eglantine est plus rose
Et le gazon plus vert.?La racine des fleurs plongera sous
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