La comedie de la mort | Page 2

Theophile Gaultier
couvert de son linceul verdatre,?Et les rougeurs de rose, et les paleurs d'albatre,?Et l'etoile et la fleur eclose a chaque front.
Le flux jette a la cote entre le corps du phoque,?Et les debris de mats que la vague entre-choque,?Mes reves naufrages tout gonfles et tout verts;
Pour ces chercheurs d'un monde etrange et magnifique,?Colombs qui n'ont pas su trouver leur Amerique,?En funebres caveaux creusez-vous, o mes vers!
Puis montez hardiment comme les cathedrales,?Allongez-vous en tours, tordez-vous en spirales,?Enfoncez vos pignons au coeur des cieux ouverts.
Vous, oiseaux de l'amour et de la fantaisie,?Sonnets, o blancs ramiers du ciel de poesie,?Posez votre pied rose au toit de mon clocher.
Messageres d'avril, petites hirondelles,?Ne fouettez pas ainsi les vitres a coups d'ailes,?J'ai dans mes bas-reliefs des trous ou vous nicher;
Mes vierges vous prendront dans un pli de leur robe,?L'empereur tout expres laissera choir son globe,?Le lotus ouvrira son coeur pour vous cacher.
J'ai brode mes reseaux des dessins les plus riches,?Evide mes piliers, mis des saints dans mes niches,?Pose mon buffet d'orgue et peint ma voute en bleu.
J'ai prie saint Eloi de me faire un calice;?Le roi mage Gaspard, pour le saint sacrifice,?M'a donne le cinname et le charbon de feu.
Le peuple est a genoux, le chapelain s'affuble?Du brocart radieux de la lourde chasuble;?L'eglise est toute prete; y viendrez-vous, mon Dieu?
LA COMEDIE DE LA MORT.
LA VIE DANS LA MORT.
I.
C'etait le jour des morts: Une froide bruine?Au bord du ciel raye, comme une trame fine,
Tendait ses filets gris;?Un vent de nord sifflait; quelques feuilles rouillees?Quittaient en frissonnant les cimes depouillees
Des ormes rabougris;
Et chacun s'en allait dans le grand cimetiere,?Morne, s'agenouiller sur le coin de la pierre
Qui recouvre les siens,?Prier Dieu pour leur ame, et, par des fleurs nouvelles,?Remplacer en pleurant les pales immortelles
Et les bouquets anciens.
Moi, qui ne connais pas cette douleur amere,?D'avoir couche la-bas ou mon pere ou ma mere
Sous les gazons fletris,?Je marchais au hasard, examinant les marbres,?Ou, par une echappee, entre les branches d'arbres,
Les domes de Paris;
Et, comme je voyais bien des croix sans couronne,?Bien des fosses dont l'herbe etait haute, ou personne
Pour prier ne venait,?Une pitie me prit, une pitie profonde?De ces pauvres tombeaux delaisses, dont au monde
Nul ne se souvenait.
Pas un seul brin de mousse a tous ces mausolees,?Cependant, et des noms de veuves desolees,
D'epoux desesperes,?Sans qu'un gramen voilat leurs majuscules noires?Etalaient hardiment leurs mensonges notoires
A tous les yeux livres.
Ce spectacle me fit sourdre au coeur une idee?Dont j'ai, depuis ce temps, toujours l'ame obsedee.
Si c'etait vrai, les morts?Tordraient leurs bras noueux de rage dans leur biere?Et feraient pour lever leurs couvercles de pierre
D'incroyables efforts!
Peut-etre le tombeau n'est-il pas un asile?Ou, sur son chevet dur, on puisse enfin tranquille
Dormir l'eternite,?Dans un oubli profond de toute chose humaine,?Sans aucun sentiment de plaisir ou de peine
D'etre ou d'avoir ete.
Peut-etre n'a-t-on pas sommeil! Et quand la pluie?Filtre jusques a vous, l'on a froid, l'on s'ennuie
Dans sa fosse tout seul.?Oh! que l'on doit rever tristement dans ce gite?Ou pas un mouvement, pas une onde n'agite
Les plis droits du linceul!
Peut-etre aux passions qui nous brulaient, emue,?La cendre de nos coeurs vibre encore et remue
Par-dela le tombeau,?Et qu'un ressouvenir de ce monde dans l'autre,?D'une vie autrefois enlacee a la notre,
Traine quelque lambeau.
Ces morts abandonnes sans doute avaient des femmes,?Quelque chose de cher et d'intime; des ames
Pour y verser la leur;?S'ils etaient eveilles au fond de cette tombe,?Ou jamais une larme avec des fleurs ne tombe,
Quelle affreuse douleur!
Sentir qu'on a passe sans laisser plus de marque?Qu'au dos de l'ocean le sillon d'une barque;
Que l'on est mort pour tous;?Voir que vos mieux aimes si vite vous oublient,?Et qu'un saule pleureur aux longs bras qui se plient
Seul se plaigne sur vous.
Au moins, si l'on pouvait, quand la lune blafarde,?Ouvrant ses yeux sereins aux cils d'argent regarde
Et jette un reflet bleu?Autour du cimetiere, entre les tombes blanches,?Avec le feu follet dans l'herbe et sous les branches,
Se promener un peu!
S'en revenir chez soi, dans la maison, theatre?De sa premiere vie, et frileux, pres de l'atre,
S'asseoir dans son fauteuil,?Feuilleter ses bouquins et fouiller son pupitre?Jusqu'au moment ou l'aube illuminant la vitre,
Vous renvoie au cercueil.
Mais non; il faut rester sur son lit mortuaire,?N'ayant pour se couvrir que le lin du suaire,
N'entendant aucun bruit,?Sinon le bruit du ver qui se traine et chemine?Du cote de sa proie, ouvrant sa sourde mine,
Ne voyant que la nuit.
Puis, s'ils etaient jaloux, les morts, tout ce que Dante?A place de tourments dans sa spirale ardente
Pres des leurs seraient doux.?Amants, vous qui savez ce qu'est la jalousie,?Ce qu'on souffre de maux a cette frenesie,
Un cadavre jaloux!
Impuissance et fureur! Etre la, dans sa fosse,?Quand celle qu'on aimait de tout son amour, fausse
Aux beaux serments jures,?En se raillant de vous, dans d'autres bras repete?Ce qu'elle vous disait, rouge et penchant la tete
Avec des mots sacres.
Et ne pouvoir venir, quelque nuit de decembre,?Pendant qu'elle est au bal, se tapir dans sa chambre,
Et lorsque, de retour,?Rieuse,
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