damné, 
non-seulement dans le temps, mais encore dans l'éternité, pour avoir 
fait de moi un pareil âne. 
Le cardinal trempa dans l'encre une plume fraîchement taillée et la 
présenta au roi.
--Écrivez donc, sire. 
--Dictez, cardinal. 
--Puisque Votre Majesté l'ordonne, dit Ruffo en s'inclinant. 
Et il dicta. 
«Très-excellent frère, cousin et neveu, allié et confédéré, 
»Je dois vous instruire sans retard de ce qui vient de se passer hier soir 
au palais de l'ambassadeur d'Angleterre. Lord Nelson, ayant relâché à 
Naples, au retour d'Aboukir, et sir William Hamilton lui donnant une 
fête, le citoyen Garat, ministre de la République, a pris cette occasion 
de me déclarer la guerre de la part de son gouvernement. 
»Faites-moi donc, par le retour du même courrier que je vous envoie, 
très-excellent frère, cousin et neveu, allié et confédéré, savoir quelles 
sont vos dispositions pour la prochaine guerre, et surtout l'époque 
précise à laquelle vous comptez vous mettre en campagne, ne voulant 
absolument rien faire qu'en même temps que vous et d'accord avec 
vous. 
»J'attendrai la réponse de Votre Majesté pour me régler en tout point 
sur les instructions qu'elle me donnera. 
»La présente n'étant à autre fin, je me dis, en lui souhaitant toute sorte 
de prospérités, de Votre Majesté, le bon frère, cousin et oncle, allié et 
confédéré.» 
--Ouf! fit le roi. 
Et il leva la tête pour interroger le cardinal. 
--Eh bien, c'est fini, sire, et Votre Majesté n'a plus qu'à signer. 
Le roi signa, selon son habitude: Ferdinand B. 
--Et quand je pense, continua le roi, que j'aurais mis la nuit tout entière
à écrire cette lettre. Merci, mon cher cardinal, merci. 
--Que cherche Votre Majesté? demanda Ruffo, qui voyait que le roi 
cherchait autour de lui avec inquiétude. 
--Une enveloppe. 
--Bien, dit Ruffo, nous allons en faire une. 
--C'est encore une chose que San-Nicandro ne m'a point appris à faire, 
des enveloppes! Il est vrai qu'ayant oublié de m'apprendre à écrire, il 
avait regardé la science des enveloppes comme chose inutile. 
--Votre Majesté permet-elle? demanda Ruffo. 
--Comment, si je la permets! dit le roi en se levant. Asseyez-vous là à 
ma place sur mon fauteuil, mon cher cardinal. 
Le cardinal s'assit sur le fauteuil du roi, et, avec une grande prestesse et 
une grande habileté, plia et déchira le papier qui devait recouvrir la 
lettre royale. 
Ferdinand le regardait faire avec admiration. 
--Maintenant, dit le cardinal, Votre Majesté veut-elle me dire où est son 
sceau? 
--Je vais vous le donner, je vais vous le donner, ne vous dérangez pas, 
dit le roi. 
La lettre fut cachetée, et le roi mit l'adresse. 
Puis, appuyant son menton dans sa main, il demeura pensif. 
--Je n'ose interroger le roi, demande Ruffo en s'inclinant. 
--Je veux, répondit le roi toujours pensif, que personne ne sache que j'ai 
écrit cette lettre à mon neveu, ni par qui je l'ai envoyée.
--Alors, sire, dit en riant Ruffo, Votre Majesté va me faire assassiner en 
sortant du palais. 
--Vous, mon cher cardinal, vous n'êtes pas quelqu'un pour moi; vous 
êtes un autre moi-même. 
Ruffo s'inclina. 
--Oh! ne me remerciez point, allez, le compliment n'est pas riche. 
--Comment faire, alors? Il faut cependant que vous envoyiez chercher 
Ferrari par quelqu'un, sire. 
--Justement, je m'oriente. 
--Si je savais où il est, dit Ruffo, j'irais le chercher. 
--Pardieu! moi aussi, fit le roi. 
--Vous avez dit qu'il était dans le palais. 
--Certainement qu'il y est; seulement, le palais est grand. Attendez, 
attendez donc! En vérité, je suis encore plus bête que je ne croyais. 
Il ouvrit la porte de sa chambre à coucher et siffla. 
Un grand épagneul s'élança du tapis où il était couché près du lit de son 
maître, posa ses deux pattes sur la poitrine du roi, toute chamarrée de 
plaques et de cordons, et se mit à lui lécher le visage, occupation à 
laquelle le maître paraissait prendre autant de plaisir que le chien. 
--C'est Ferrari qui l'a élevé, dit le roi; il va me trouver Ferrari tout de 
suite. 
Puis, changeant de voix et parlant à son chien comme il eût parlé à un 
enfant: 
--Où est-il donc, ce pauvre Ferrari, Jupiter? Nous allons le chercher. 
Taïaut! taïaut!
Jupiter parut parfaitement comprendre; il fit trois ou quatre bonds par la 
chambre, humant l'air et jetant des cris joyeux; puis il alla gratter à la 
porte d'un corridor secret. 
--Ah! nous en revoyons donc, mon bon chien? dit le roi. 
Et, allumant un bougeoir au candélabre, il ouvrit la porte du couloir en 
disant: 
--Cherche, Jupiter! cherche! 
Le cardinal suivait le roi, d'abord pour ne pas le laisser seul, ensuite par 
curiosité. 
Jupiter s'élança vers l'extrémité du couloir et gratta à une seconde porte. 
--Nous sommes donc sur la voie, mon bon Jupiter? continua le roi. 
Et il ouvrit cette seconde porte, comme il avait ouvert la première; elle 
donnait    
    
		
	
	
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