La San-Felice, Tome 8 | Page 2

Alexandre Dumas, père
contre lequel est élevé aujourd'hui un grand crucifix.
--Oui, répondit Simon.
En effet, l'officier qui dirigeait la petite troupe s'achemina de ce côté.
Les deux condamnés pressèrent le pas, et, sortant des rangs, allèrent se
placer contre la muraille.
--Qui des deux mourra le premier? demanda l'officier.
--Moi! s'écria le vieux.
--Monsieur, demanda André, avez-vous des ordres positifs pour nous
fusiller l'un après l'autre?
--Non, citoyen, répondit l'officier, je n'ai reçu aucune instruction à cet
égard.
--Eh bien, alors, si cela vous était égal, nous vous demanderions la
grâce d'être fusillés ensemble et en même temps.
--Oui, oui, dirent cinq ou six voix dans l'escorte, nous pouvons bien
faire cela pour eux.
--Vous l'entendez, citoyen, dit l'officier chargé de cette triste mission, je
ferai tout ce que je pourrai pour adoucir vos derniers moments.
--Ils nous accordent cela! s'écria joyeusement le vieux Backer.

--Oui, mon père, dit André en jetant son bras au cou de Simon. Ne
faisons point attendre ces messieurs, qui sont si bons pour nous.
--Avez-vous quelque dernière grâce à demander, quelques
recommandations à faire? demanda l'officier.
--Aucune, répondirent les deux condamnés.
--Allons donc, puisqu'il le faut, murmura l'officier; mais, sang du Christ!
on nous fait faire là un vilain métier!
Pendant ce temps, les deux condamnés, André tenant toujours son bras
jeté autour du cou de son père, étaient allés s'adosser à la muraille.
--Sommes-nous bien ainsi, messieurs? demanda le jeune Backer.
L'officier fit un signe affirmatif.
Puis, se retournant vers ses hommes:
--Les fusils sont chargés? demanda-t-il.
--Oui.
--Eh bien, à vos rangs! Faites vite et tâchez qu'ils ne souffrent pas: c'est
le seul service que nous puissions leur rendre.
--Merci, monsieur, dit André.
Ce qui se passa alors fut rapide comme la pensée.
On entendit se succéder les commandements de «Apprêtez armes!--En
joue!--Feu!»
Puis une détonation se fit entendre.
Tout était fini!
Les républicains de Naples, entraînés par l'exemple de ceux de Paris,

venaient de commettre une de ces actions sanglantes auxquelles la
fièvre de la guerre civile entraîne les meilleures natures et les causes les
plus saintes. Sous prétexte d'enlever aux citoyens toute espérance de
pardon, aux combattants toute chance de salut, ils venaient de faire
passer un ruisseau de sang entre eux et la clémence royale;--cruauté
inutile qui n'avait pas même l'excuse de la nécessité.
Il est vrai que ce furent les seules victimes. Mais elles suffirent pour
marquer d'une tache de sang le manteau immaculé de République.
Au moment même où les deux Backer, frappés des mêmes coups,
tombaient enlacés aux bras l'un de l'autre, Bassetti allait prendre le
commandement des troupes de Capodichino, Manthonnet celui des
troupes de Capodimonte, et Writz celui des troupes de la Madeleine.
Si les rues étaient désertes, en échange toutes les murailles des forts,
toutes les terrasses des maisons étaient couvertes de spectateurs qui, à
l'oeil nu ou la lunette à la main, cherchaient à voir ce qui allait se passer
sur cet immense champ de bataille qui s'étendait du Granatello à
Capodimonte.
On voyait sur la mer, s'allongeant de Torre-del-Annonciata au pont de
la Madeleine, toute la petite flottille de l'amiral Caracciolo, que
dominaient les deux vaisseaux ennemis, la Minerve, commandée par le
comte de Thurn, et le Sea-Horse, commandé par le capitaine Ball, que
nous avons vu accompagner Nelson à cette fameuse soirée où chaque
dame de la cour avait fait son vers, et où tous ces vers réunis avaient
composé l'acrostiche de CAROLINA.
Les premiers coups de fusil qui se firent entendre, la première fumée
que l'on vit s'élever, fut en avant du petit fort du Granatello.
Soit que Tchudy et Sciarpa n'eussent point reçu les ordres du cardinal,
soit qu'ils eussent mis de la lenteur à les exécuter, Panedigrano et ses
mille forçats se trouvèrent seuls au rendez-vous, et n'en marchèrent pas
moins hardiment vers le fort. Il est vrai qu'en les voyant s'avancer, les
deux frégates commencèrent, pour les soutenir, leur feu contre le
Granatello.

Salvato demanda cinq cents hommes de bonne volonté, se rua à la
baïonnette sur cette trombe de brigands, les enfonça, les dispersa, leur
tua une centaine d'hommes et rentra au fort avec quelques-uns des siens
seulement hors de combat; encore avaient-ils été atteints par les
projectiles lancés des deux bâtiments.
En arrivant à Somma, le cardinal fut averti de cet échec.
Mais de Cesare avait été plus heureux. Il avait ponctuellement suivi les
ordres du cardinal; seulement, apprenant que le château de Portici était
mal gardé et que la population était pour le cardinal, il attaqua Portici et
se rendit maître du château. Ce poste était plus important que celui de
Resina, fermant mieux la route.
Il fit parvenir la nouvelle de son succès au cardinal en lui demandant de
nouveaux ordres.
Le cardinal lui ordonna de se fortifier du mieux qu'il lui serait possible,
pour couper toute
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 78
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.