par grâce, dites-moi... 
-- Voici: je vous ai raconté tout à l'heure, que pour le rapt odieux 
accompli sur ma personne, mon père s'était fait aider par un sien ami, 
commandant d'un cutter de l'État. 
-- Eh bien! 
-- Eh bien... cet homme, je veux le voir! 
-- Vous savez donc où il est. 
-- Il habite à quelques milles de la côte, où il vit misérablement! 
L'infâme action qu'il a commise ne lui a pas profité, et une lettre 
récente qu'il a écrite à mon père, et que j'ai pu intercepter, témoigne de 
quelques remords. Peut-être le moment est-il favorable: il doit 
connaître bien des choses du passé, et qui sait si je ne parviendrai pas à 
lui arracher quelques aveux. Vous comprenez. 
-- Parfaitement.
-- Et vous consentez à m'accompagner? 
-- Nous partirons quand vous voudrez. 
Par un mouvement plus prompt que la pensée même, la jeune femme 
s'empara des mains de Gaston et les baisa avec un transport de joie 
folle. 
-- Ah! c'est bien, cela! dit-elle en cherchant à réagir contre sa propre 
émotion, vous êtes généreux, et Dieu vous récompensera. Si ma fille 
m'est rendue, c'est à vous peut-être que je le devrai... 
Puis elle passa dans une pièce voisine, jeta à la hâte une mante sur ses 
épaules, un voile épais sur ses cheveux, et revint peu après vers le jeune 
commandant qui attendait. 
-- Partons! partons! dit-elle, ne perdons pas une seconde... nous n'avons 
plus que quelques heures de jour; et la nuit, nous pouvons être arrêtés 
par bien des obstacles... Venez!... 
Ils descendirent d'un pas rapide vers l'embarcation qui fut 
immédiatement poussée à la mer, et quelques minutes après, elle filait 
vers la côte, emportant le commandant, la jeune femme et Bob, le petit 
mousse. 
Quand ils atteignirent la côte, il était cinq heures environ. 
La bourrasque s'était tout à fait calmée; la mer était unie comme un lac; 
de chaque côté de l'embarcation, le regard plongeait en des profondeurs 
limpides, où l'on distinguait une végétation vigoureuse, aux tons 
colorés, où se mêlaient les fougères hérissées, de véritables parterres 
émaillés de pépites azurées, ou encore de longs rubans de lianes 
globuleuses ou tubulées. C'était comme une fête des yeux; de temps à 
autre, s'élançaient du flanc des rochers aigus et noirs des arbres 
gigantesques dont les branches chargées de fleurs éclatantes se 
balançaient mollement au mouvement du flux et du reflux. 
Gaston de Pradelle avait rarement observé un pareil spectacle, et
s'abandonnait à l'admiration qu'il éveillait en lui. 
Quant à miss Fanny Stevenson, elle semblait indifférente à tout, 
absorbée dans une pensée unique, ne songeant qu'à son but. 
Elle s'était rejetée à l'arrière de l'embarcation, avait serré fortement sa 
mante autour de sa taille, son voile épais sur ses cheveux. 
Ainsi accotée, elle gardait le silence, et pendant tout le temps elle ne 
proféra pas une parole. 
Seulement, quand on approcha de terre, elle parut éprouver comme une 
secousse nerveuse, se dressa sur son séant, et, écartant brusquement son 
voile, elle jeta un regard plein de flamme sur la rive. 
-- Qu'avez-vous? interrogea Gaston, rappelé par ce mouvement à la 
réalité de la situation. 
-- Nous approchons! fit la jeune femme. 
-- Vous reconnaissez la côte? 
Un sourire amer crispa la lèvre de miss Stevenson, pendant qu'un 
frisson secouait ses épaules. 
-- Depuis dix années, répondit-elle, tout cela a bien changé; la nature ne 
vieillit pas, et l'âge ne fait que l'embellir. Ce bourg, que vous apercevez 
maintenant derrière ces bouquets d'arbres, n'était autrefois qu'un pauvre 
petit refuge de pêcheurs; maintenant c'est presque une ville. 
-- Est-ce là que vous habitiez? 
Miss Stevenson étendit la main vers un point de la rive. 
-- Tenez, dit-elle avec un sanglot mal étouffé, vous voyez cette petite 
maison blanche, à moitié cachée aujourd'hui par un épais rideau de 
peupliers et de tamaris, il y a dix ans, elle était humble et pauvre, et le 
sol, autour d'elle, était pelé et nu. C'est là que j'ai passé les plus doux 
instants de ma vie, assise auprès du berceau de ma fille. C'est de là
aussi que j'ai été violemment arrachée, pour être jetée dans cette prison 
où vous m'avez trouvée. 
-- Est-ce de ce côté qu'il faut gouverner? demanda Gaston. 
-- Si vous le voulez bien, répondit miss Stevenson. 
La côte n'était plus qu'à une faible distance, il y avait là une petite 
crique de sable fin, au-dessus de laquelle le bourg s'élevait en 
amphithéâtre. Gaston y dirigea l'embarcation, et peu après, il sautait à 
terre et aidait la jeune femme à en faire autant. 
Celle-ci avait repris toute son énergie; dès qu'elle eut senti le sol sous 
ses pieds, elle prit résolument le bras du commandant, et l'entraîna vers 
la maison qu'elle avait désignée. 
Une fois qu'elle en eut atteint le seuil, elle abandonna brusquement le 
jeune marin    
    
		
	
	
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