me parle donc pas d'aller vers toi; ne viens pas non plus me 
chercher. Laisse-moi à mes illusions; elles sont telles qu'en voulant les 
détruire, on leur ferait prendre un caractère sinistre. Imite la bonne 
nature; sois indulgente comme elle. 
Saint-Almont, pour se distraire sans doute de cette flamme sourde qui 
le mine, se livre tout entier aux devoirs de son état. Il sait apparemment 
que l'occupation est l'un des plus puissans remèdes contre l'amour, 
comme l'oisiveté en est le plus actif poison. Je vois son plan de 
conduite; il est sage, et me donne la plus haute idée de son jugement. 
Toutes ses journées sont sans lacune; la chaire et le confessionnal 
servent tour à tour de théâtre à son zèle apostolique. Il a fait le prône 
dimanche dernier; je n'ai eu garde d'y manquer. J'ai chargé une femme 
qui se tient au portail de l'église de m'avertir. Cette bonne femme me 
croit une sainte. «Si jeune, être déjà si pieuse!» dit-elle. 
Ma chère Zoé! si tu savais comme il prêche avec grâce, avec onction! 
Le sujet de son premier discours était l'amour du prochain. Ma bonne 
maman, qui voulut l'entendre d'après le récit que je lui en fis, et qui se 
connaît en sermons, m'a dit en me serrant la main: «Ma chère fille! j'ai 
suivi bien des prédicateurs, en ma vie; pas un d'eux ne m'a fait autant 
de plaisir.» 
Ma grand'maman n'a jamais rencontré si juste. Saint-Almont persuade, 
rien qu'à le voir; il ne crie point; il ne gesticule pas comme un forcené: 
c'est le coeur qui parle au coeur. 
Une chose qui va t'étonner, c'est qu'il a osé traiter de l'amour, et même
en faire l'éloge; mais c'est qu'il voit cette passion comme l'un des plus 
beaux, des plus sublimes sentimens de la nature. «L'amour, a-t-il dit 
dans un endroit de son prône, l'amour dans une âme vertueuse est une 
vertu de plus. Heureux ceux, a-t-il ajouté, heureux ceux qui s'aiment 
avec innocence!» Que Saint-Almont était beau en prononçant cette 
exclamation, qui fut suivie d'un long soupir! 
Je m'étais placée devant lui, derrière une colonne; ses yeux en ce 
moment rayonnaient, étincelaient; une rougeur aimable colorait son 
visage. Toute sa physionomie était angélique. 
Ma chère Zoé! je te le dis naïvement, quel dommage que cet homme 
n'ait pas rencontré la femme qui lui convenait! qu'elle est vile à mes 
yeux, celle qui n'a pas senti tout le prix d'un tel homme! Une larme 
coule de mes yeux, en te faisant part de cette réflexion amère et inutile. 
J'en veux aussi à Saint-Almont. Pourquoi, s'étant mal adressé une 
première fois, se rebute-t-il tout de suite? N'y avait-il donc qu'une 
femme au monde? Tout le mal qu'on voit sur la terre ne vient peut-être 
que de ce que peu de gens sont à leur place. Adieu, Zoé; je n'ai pas le 
courage de t'en écrire plus long. Le noir chagrin s'empare de moi. Que 
n'es-tu à Paris! indulgente amie, tu me sauverais de moi-même. Adieu, 
encore une fois. 
 
VIII. 
ZOÉ À AGATHE. 
Ma pauvre Agathe! ta dernière lettre me fait de la peine. Il semble que 
tu te plaises à creuser le précipice sous tes pas. Tâche de t'interroger 
dans le calme de la raison, et de te voir de sang-froid. Chaque jour 
ajoute à ton délire. Tu ne prévois pas les maux que tu te prépares. Imite 
plutôt celui-là même qui est la cause innocente de ton égarement 
d'esprit. Vois, et tu en conviens toi-même, vois avec quelle prudence il 
s'éloigne de tous les objets capables de le rappeler à sa malheureuse 
passion. Je t'en conjure, ne te flatte pas; c'est précisément la pureté de ta 
flamme qui en augmente la chaleur. Je craindrais beaucoup moins pour
ton repos, si tu avais choisi un sujet indigne de toi; ce ne serait que 
l'erreur d'un moment. Crains d'en avoir pour toute la vie. Ne badine pas 
avec les passions. D'abord nos jouets, elles finissent par devenir nos 
tyrans. Une seule réflexion pourrait suffire pour te rappeler à ta 
tranquillité première. Si quelqu'un me demandait: Que faites-vous de 
votre amie? que fait Agathe? Dis, mon Agathe, qu'aurais-je à répondre? 
Il me faudrait donc, pour être vraie, dire: «Mon amie est devenue 
amoureuse d'un prêtre.» 
Cela seul devrait te faire ouvrir les yeux. Un prêtre n'est plus un homme 
pour une femme. Pense à cela; ne reste point à Paris; accours dans mes 
bras: c'est là ta place. Donne-moi ta personne en garde; je t'en rendrai 
fidèle compte. Tu es mon trésor: que j'en sois la dépositaire! Mon mari 
me demande toujours quand nous te verrons, et je suis obligée de 
mentir toujours en lui disant: «La bonne maman est malade.» Ah! c'est 
bien plutôt ma pauvre Agathe qui l'est, et qui l'est si fort, qu'elle ne veut 
pas guérir.    
    
		
	
	
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