demander un flacon. De toutes les femmes, je fus la plus 
habile à offrir le mien. On le fit respirer au jeune lévite qui reprit ses 
sens; mais une petite rumeur se faisait entendre du côté opposé à celui 
où nous étions. Plusieurs personnes se levèrent; l'une d'elles sortit, à la 
prière de ses voisines. La cause de ce mouvement ne tarda pas à être 
sue. J'appris que cette femme coquette, qui avait inspiré une funeste 
passion au trop sensible Saint-Almont, (c'est ainsi qu'on appelle le 
nouveau prêtre) était venue insulter au malheur, et jouir de son 
triomphe. Les yeux de Saint-Almont avaient reconnu cette femme; et 
cette rencontre inattendue produisit la crise que je viens de te décrire en 
peu de mots. Ma chère Zoé, souffre que je termine ici ma lettre. Mes 
doigts tremblans se refusent à t'en écrire pour cette fois davantage. 
 
III. 
AGATHE À ZOÉ. 
Je ne t'ai point achevé mon récit. Saint-Almont poursuivit sa messe 
avec assez de courage. Vers le milieu, un de ses collègues lui adressa 
une espèce de sermon que je trouvai trop court, quoiqu'il dura plus de la 
demi-heure; ce qui me donna tout loisir d'examiner Saint-Almont, assis
dans un fauteuil, au-dessus de moi, sur le bord du sanctuaire. Il parut 
donner toute son attention au discours, qui roulait sur les ressources de 
la religion. «La religion, disait l'orateur sacré, et surtout le sacerdoce, 
est un asile contre les passions, et un port dans le naufrage. Que de 
honteuses faiblesses elle a su prévenir ou réparer! De toutes les sortes 
de philosophie, la religion est encore la plus puissante... etc.» 
Saint-Almont écoutait en fermant les yeux; de fréquens soupirs 
sortaient péniblement de ses lèvres. De temps en temps, il portait ses 
deux mains à son front. 
Cet infortuné paraît avoir à peine atteint l'âge requis pour la prêtrise. 
J'aurais bien désiré voir et connaître la femme, auteur de son désespoir; 
mais je parvins, après l'office, à dire quelques mots à un ami intime de 
Saint-Almont. J'allai à lui, dans une pièce voisine de la sacristie; il était 
presque aussi abattu que son ami. Il me dit: «Saint-Almont eût fait un 
bon citoyen; il sera bon prêtre: quelque soit son état, il en saura remplir 
les devoirs en honnête homme.» 
Je hasardai ce peu de paroles: «Mais il semble plutôt résigné à la 
profession qu'il embrasse, que bien convaincu qu'elle lui convient. Le 
ministère auquel il se voue, est-il bien de son choix?» 
Il me fut répliqué: «L'honnête homme est fidèle à ses engagemens, de 
quelque nature qu'il les ait pris. Je réponds de mon ami.» 
La plupart des assistans comptaient bien retrouver Saint-Almont, pour 
le féliciter comme c'est l'usage; mais il se déroba à nos empressemens, 
et je me retirai, toute rêveuse, avec ma grand'maman, qui me dit en 
route: «Ce jeune homme m'a édifiée; qu'en penses-tu?--Beaucoup de 
bien. Il donne de lui l'opinion la plus avantageuse.» 
Rentrée chez nous, son image me suivit dans tous les recoins de la 
maison. Je descendis dans notre petit jardin; je n'y vis point les fleurs 
naissantes que le printemps, les autres années, ne faisait point éclore en 
vain pour moi. L'aventure de Saint-Almont m'occupait tout entière. Je 
redoutai l'approche de la nuit, et ce n'était pas sans fondement. Te le 
dirai-je, ma bonne Zoé! je ne pus fermer l'oeil. Henri IV disait: Paris 
vaut bien une messe. Zoé va peut-être me répondre: «Voilà bien du
bruit pour une messe!» 
Adieu, ma toute bonne, ne me gronde point, ou attends pour cela que 
j'aille te voir sous ton joli berceau de lilas. Je t'en dirai peut-être encore 
davantage; mais n'en sonne mot à ton mari, il se moquerait de moi, et 
j'aime encore mieux être grondée que raillée. Adieu. 
 
IV. 
BILLET DE ZOÉ. 
Ne manque pas de venir dans trois jours; je réserve pour ce moment ma 
réponse à ta dernière lettre. Ne manque pas, et arrange-toi pour passer 
une quinzaine au sein de l'amitié. 
 
V. 
AGATHE À ZOÉ. 
Pardonne-le moi, mon amie; mais je ne puis t'aller voir de sitôt. La 
santé de ma grand'maman est un peu altérée, et la mienne n'est pas des 
plus parfaites. Ainsi remettons la partie; mais je ne puis différer à 
t'écrire, au risque, non pas de te déplaire, mais de m'exposer à quelques 
petits reproches de ta part; mais je n'aime point à passer pour meilleure 
que je ne suis en effet. La bonne nature, en me donnant l'existence, n'a 
pas voulu faire de moi une prude ni une dévote, quoique depuis cette 
fatale grand'messe, je n'aie pas manqué d'en entendre une chaque jour. 
Je te vois d'ici rire sous cape. Eh bien! me voilà! que veux-tu? Mais, 
écoute, il était bien naturel de désirer savoir des nouvelles de 
Saint-Almont depuis son nouvel état. Ma    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
