de leur interdire toute liberté 
trop profane et préjudiciable, toute arrogance téméraire! 
Ainsi nous ne comprenions pas toujours très bien ce qu'il y avait 
cependant de lucide et de pénétrant sous les oscillations de Lemaître. Il 
balançait, mais ne reculait pas. Ses atermoiements n'étaient pas de la 
fuite. On peut même déclarer, sans crainte d'erreur, que ses qualités de 
décision, sa vaillance, furent la juste, nécessaire et noble contre-partie 
des faiblesses et des nonchaloirs de surface de sa personne physique. 
Son geste était flottant, mais non sa pensée. Son scepticisme même 
mordait, n'avait rien de mou. La clarté coupante, mélodieuse et grave 
de sa parole révélait celle de son jugement, et il avait la conscience, 
jusqu'en doutant avec loyauté, d'articuler son doute et de le marteler, 
d'y mettre un peu d'acier. 
Il fut enfin pleinement courageux, dans des 
*[Illustration: Le prince Lichnowsky, ambassadeur d'Allemagne à 
Londres, sortant du Foreign Office, après une de ses dernières 
conversations avec sir Edward Grey.] 
*[Illustration: Le comte Szecsen de Temerin, ambassadeur 
d'Autriche-Hongrie en France, qui restait à Paris tandis que des 
régiments austro-hongrois venaient déjà se joindre aux forces 
allemandes.--Phot. Manut.] 
AMBASSADEURS DE LA DUPLICE 
heures fameuses que l'on n'a pas oubliées. Il n'a jamais eu peur quand la 
peur lui eût été presque permise, et pour une grande cause il aurait 
donné, s'il l'avait fallu, sa vie,... mais avec un petit geste de modération 
et un sourire à la Montaigne. 
Il est allé, tout à la fin, Voltaire tendre et converti, se reposer des 
fatigues, des spéculations et des doctrines, dans son Orléanais où il 
avait poussé son premier soupir, où il voulait rendre le dernier. Nous
tirerons aujourd'hui, une fois pour toutes, de sa face et de toute sa 
personne, l'ironie terrestre qui en était le rideau, pour ne plus considérer 
que le visage et l'âme purifiée du patriote qui meurt à la limite, à la 
frontière même de son espérance. A cette heure il a rejoint, au milieu 
des fanfares de l'au-delà, Déroulède et Coppée. A eux trois ils assistent, 
de l'endroit où ils sont, au triomphe du vrai et intégral nationalisme. Ils 
contemplent, en se tenant les mains, l'achèvement et la sublime 
réalisation de la Patrie française. Et si tous les trois sont heureux, du 
moins Lemaître, qui avait franchi l'âge des territoriales, obtint-il la 
faveur de partir le jour de la mobilisation, et d'avoir une agonie pleine 
de tocsins... Mais c'était des tocsins qui, dans la tristesse et 
l'entraînement, avaient, malgré tout, leur douceur, des tocsins de village, 
de petits clochers des bords de la Loire, qui tintèrent à ses oreilles, dans 
les bourdonnements suprêmes, comme l'Angelus de la Victoire. 
 
Dimanche 9 août.--J'ai épinglé au mur, en face de mon lit, le journal 
qui porte en lettres de triomphe ces mots prodigieux: _Les Français en 
Alsace!_ Et je me nourris, sans me rassasier, de l'inscription 
flamboyante. Elle s'annexe à mon coeur. Elle coule en moi comme un 
vin qui désaltère. Elle arrose toute la contrée de mon âme. Chaque fois 
que j'entre dans ma chambre pour rien, pour le plaisir de la voir, de la 
lire, de la toucher... elle éclate, m'assaille, éblouit mes yeux et puis les 
caresse... et ceux-ci avant de se fermer, le soir, la prennent longuement 
pour l'emporter dans les batailles confuses des songes. C'est avec elle 
que je m'endors, avec elle que je m'éveille. 
Les Français en Alsace!... Phrase historique, éternelle, sacrée... Phrase 
si longtemps pensée, envisagée, tenue secrète, tournée, retournée en 
tous sens, polie, usée comme le galet, par la vague jamais apaisée de 
nos émotions... phrase que nous cachions tous sur nous ainsi qu'un 
trésor, qui nous rafraîchissait comme un baume et nous rongeait 
comme un cilice, qui nous flottait par l'esprit ainsi qu'une soie 
d'étendard, qui se marquait au ciseau sous notre front comme sur le 
marbre et le bronze. Phrase d'autel, toi qui fus la prière ininterrompue 
d'un demi-siècle, l'immense voeu d'un peuple et qui deviens aujourd'hui 
le miracle accompli, la grâce obtenue, la guérison donnée, l'exaucement
suprême... phrase ensevelie qui te lèves, ressuscites et sors tout à coup 
librement du cercueil de nos poitrines et de nos bouches desserrées... 
sois bénie, sois gardée à jamais, sois mise et écrite partout, sois notre 
Affiche! que l'on ne voie que toi, pendant beaucoup de belles et 
interminables années! que du bout du doigt, sur tes lettres majuscules, 
dès demain, ce soir... les jeunes mères apprennent à lire à leurs enfants, 
épelant pour leur patiente innocence les mots mystérieux qui plus tard, 
comme nous, les feront pleurer:--«L-e-s, les, F-r-a-n... Fran... les 
Français... sont... en... Alsace!... Répète avec moi, mon chéri! Dis avec 
moi: Alsace! Alsace!» 
 
Mais dans l'excès de notre joie nous devons la mesurer, la traiter 
sévèrement. Ne soyons pas encore éperdus de bonheur. Ne croyons pas 
que la phrase glorieuse    
    
		
	
	
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