Tout d'abord 
Porel me dit: «Oui, en effet, nous faisons 2 200 en moyenne... mais je 
suis très content, très content.» Il ajoute toutefois, au bout de quelques 
instants: «Seulement, si dans la semaine de Pâques, la pièce ne remonte 
pas, il faudra prendre un parti.» 
Il y a, dans le théâtre, la mauvaise humeur produite par une pièce qui ne 
fait pas d'argent, et tout me dit que la pièce est destinée à quitter 
l'affiche, après une trentaine de représentations. Oui, c'est positif, le 
public n'aime pas la simplicité de cette prose dramatique, il veut autour 
des catastrophes de la vie, la langue du boulevard du Crime. Ces 
drames de la vie, offerts à ses oreilles, avec les paroles de la vie réelle, 
ça l'étonne, ça change ses habitudes. 
* * * * * 
Jeudi 26 mars.--Ce soir, Daudet disait: «Si je n'étais pas entièrement 
pris par mon livre, je trouverais de belles choses à écrire sur la 
douleur.» Et il parle de l'aspect curieusement méchant des gens, qu'il 
rencontre à l'hydrothérapie. Là-dessus une discussion entre lui et sa 
femme, voulant la chère femme que la souffrance nerveuse n'aigrisse 
pas, n'exaspère pas, ne fasse pas mauvais! 
* * * * * 
Vendredi 27 mars.--Ce matin, Mme Favart revient avec Verlet, le 
régisseur de la troupe. Toute pleine de vivacité et d'entrain, la voici 
farfouillant dans les vieux journaux, y cherchant les éléments d'un 
historique de la pièce, qu'on distribuera dans la salle, quand tout à coup, 
je viens à parler du Tonkin, d'une batterie d'artillerie qu'on dit perdue, 
et la voilà lâchant tout, qui se met à fondre en larmes. Elle a son fils 
avec le général Négrier, et n'en a aucune nouvelle. 
* * * * * 
Samedi 28 mars.--Exposition de Bastien-Lepage: de la peinture 
préraphaélique appliquée sur des motifs et des compositions de Millet.
On commence à voir de singulières créatures, dans Paris, des femmes 
qui ont l'air d'être sorties des livres de Poë, et que je soupçonne d'être 
des étudiantes russes. Il y avait devant une des toiles de Bastien-Lepage, 
une de ces femmes à la blancheur chaude, coiffée au haut de la tête, 
d'un petit toquet d'astrakan, une femme aux traits aigus, émaciés, 
spiritualisés, au menton de galoche annonçant une résolution entêtée, 
aux formes d'un jeune éphèbe plutôt que d'une demoiselle, et terminée 
par une paire de grosses bottines canaille. 
* * * * * 
Mardi 31 mars.--En traversant le Palais-Royal, je lis au-dessus du café 
de la Rotonde: Grand café Rotonde à louer. Décidément les endroits 
meurent tout comme les individus. 
Je n'entre jamais à l'Odéon, sans l'attente de quelque chose de 
désagréable, qui va m'être apporté par ce que j'entendrai ou ce que je 
verrai. Oh! le théâtre, l'état abominablement nerveux, dans lequel ça 
vous tient, tout le temps qu'on vous joue. Je redoute le soir, où on me 
dira: On ne vous joue plus, tel jour, et cependant je l'appelle ce jour, où 
on me dira cela. 
* * * * * 
Lundi 6 avril.--Oui, j'ose le dire, je n'admire que les modernes. Et, 
envoyant promener mon éducation littéraire, je trouve Balzac, plus 
homme de génie que Shakespeare, et je déclare que son baron Hulot 
produit sur mon imagination, un effet plus intense que le Scandinave 
Hamlet. Cette impression peut-être, beaucoup la ressentent, mais 
personne n'a le courage de l'avouer--de l'avouer même à soi-même. 
Je reçois ce soir, un billet de Porel, qui m'annonce que l'Odéon a fait, 
ces derniers jours de Carême et de Tonkin, des soirées de 1 000 francs, 
une de 500, et qu'hier enfin, jour de Pâques, on a eu toutes les peines du 
monde à monter à 1 500. 
* * * * *
Mardi 7 avril.--À dîner chez Brébant, Hébrard faisant une énumération 
des présidents de la Chambre, arrivé à Gambetta, s'écrie: «Lui, c'était 
un président romantique. Oui c'est bien positif, un président n'est un 
bon président, qu'à la condition qu'il y ait en lui du ténor, de l'hercule, 
du saltimbanque. Vous vous rendez bien compte, ajoute-t-il en me 
jetant un regard, que je ne parle en ce moment que de ce que j'ai vu.» 
Un dîner tout plein de quasi ministres. J'ai en face de moi Spuller, qui 
l'a été, ministre, cinquante et une heures, avant la formation du 
ministère; j'ai à côté de moi Ribot, qui a encore refusé hier à Brisson de 
prendre le ministère de l'Instruction publique. 
* * * * * 
Jeudi 9 avril.--Aujourd'hui à la table de Daudet, la conversation va à la 
mort et ne la quitte pas de tout le dîner. C'est dans la nouvelle et grande 
salle à manger, comme un glas funèbre. Daudet commence à parler, 
presque amoureusement, d'un article du Temps d'hier, où la mort serait, 
au dire des médecins anglais, une chose douce, une chose voluptueuse    
    
		
	
	
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