disparaît dans le mouvement général de tous. 
Au fond, un vrai peintre n'est jamais, dans ses tableaux, un illustrateur 
de littérature. Il peint les choses lui tombant sous la vue, des hommes, 
des femmes, des paysages, des étoffes, que sais-je, mais, il va très peu 
chercher les motifs de sa palette dans les bouquins. Un peintre 
littéraire--on pourrait formuler cet axiome--est toujours un peintre 
incomplet--et cela depuis Delaroche jusqu'à Eugène Delacroix. 
Enfin aujourd'hui, le grand peintre m'apparaît, comme un Beaulieu, 
comme ce romantique cocasse du pinceau. 
Daudet, parlant, ce soir, du bien-être de la vie de son fils aîné, que 
celui-ci trouve tout naturel, raconte qu'il était passé avec lui dans la 
journée, devant la fontaine du Luxembourg, et que la fontaine lui avait 
rappelé, aujourd'hui, ce souvenir. 
Un jour de l'année de ses dix-sept ans, un jour d'hiver où il n'avait pu 
payer sa chambre, et où on lui avait refusé sa clef, il fut contraint de se 
promener toute la nuit, pour qu'on ne le ramassât pas, et le matin, en 
face de cette fontaine, quand il était mort de fatigue et de froid, il eut la 
chance de rencontrer un ami qui lui donna la clef de sa chambre, et le
bonheur inappréciable de se fourrer dans un lit encore chaud. 
* * * * * 
Samedi 14 mars.--La reprise d'HENRIETTE MARÉCHAL, de cette 
pauvre et innocente pièce, sans grande audace, sauf dans le premier 
acte, a fait revivre dans la presse, les haines que mon frère et moi 
avions fait naître, au plus beau temps de notre littérature bataillante. Un 
journal disait, ces jours-ci, en parlant de la pièce: «Les honnêtes gens 
écoutaient muets, consternés!» Hier le Journal illustré, je crois, et qui 
par parenthèse donne nos portraits, imprimait: «Si ce théâtre devait 
réussir, il faudrait détruire le théâtre.» Pourquoi, mon Dieu! Vraiment, 
il y a une imbécillité dans l'exaspération de ces gens, tout à fait 
incompréhensible. 
* * * * * 
Mardi 17 mars.--Une note que j'ai oublié d'intercaler, en bas des 
LETTRES de mon frère, sur mon oncle de Neufchâteau, l'ancien 
officier d'artillerie, le représentant des Vosges, en 1848. 
Mon oncle était le plus honnête homme et le meilleur des êtres, mais 
avait emporté de l'École polytechnique, en même temps que le 
républicanisme, l'illogisme du raisonnement particulier à tous les forts 
en x sortis de cette école. Il ne portait pas dans la vie courante, le nom 
nobiliaire de son père, mon grand-père, le député du Bassigny en 
Barrois à la Constituante, ne voulant être appelé que M. Huot. Mais 
dans les actes solennels de la vie, dans le contrat de mariage de sa fille, 
il faisait écrire par le notaire et signait: Huot de Goncourt. 
* * * * * 
Mercredi 18 mars.--Dans la correction des épreuves des LETTRES de 
mon frère, quand je le retrouve au collège, écrivant un drame en vers 
sur Étienne Marcel, cela me rappelle que, quelques années avant, dans 
ce même collège, en rhétorique, j'envoyais à Curmer une monographie 
de «La Cuisinière» pour les FRANÇAIS PEINTS PAR EUX-MÊMES, 
puis, que je faisais une «Histoire des Châteaux au moyen âge» pour
entrer à la Société d'Histoire de France, tandis que mon frère continuait 
à versifier et à fantaisier. C'est curieux ce qu'a produit, plus tard, cet 
amalgame de tendances et de goûts différents de l'esprit. 
«Le mérite de mes livres, disait sérieusement un bibliophile, qui vient 
de vendre sa bibliothèque,--très cher: le mérite de mes livres, c'est qu'ils 
n'ont jamais été ouverts.» 
* * * * * 
Jeudi 19 mars.--Elle est vraiment originale, cette pensée du Japonais 
Hayashi, qu'il émettait hier: «Pour les idées philosophiques, nous 
ressemblons un peu, nous les Japonais, à un collectionneur ayant une 
vitrine, et n'y introduisant que les choses qui le séduisent tout à fait, 
sans trop se demander au fond le pourquoi de cette séduction.» 
* * * * * 
Vendredi 20 mars.--Un des leader du parti républicain, dans un dîner, 
où il y avait quelques droitiers, formulait, à ce qu'il paraît, un _De 
profundis_ prochain de la République, à peu près en ces termes. Une 
jeunesse hostile à l'Empire avait cru à deux choses chez les hommes 
nouveaux: à un relèvement de l'intelligence, à un relèvement de la 
morale,--et malheureusement, il faut bien reconnaître, que chez les 
gouvernants de l'heure présente, l'intelligence et la morale sont 
peut-être encore inférieures à l'intelligence et à la morale des gens de 
l'Empire. 
* * * * * 
Lundi 23 mars.--Auguste Sichel affirmait, ce soir, que l'allemand de 
Henri Heine, était un allemand tout spécial, presque une langue 
particulière, une langue à phrases courtes, sans précédents dans la 
langue germanique, et qu'il croyait formée par l'étude du français des 
encyclopédistes, du français de Diderot. 
* * * * *
Mardi 24 mars.--Ce soir, j'ai passé la soirée à l'Odéon.    
    
		
	
	
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