main de Jean en disant:
«Ils seront fidèlement remis; je te le promets.
--Merci, monsieur», répondit Jean tout joyeux.
Ils continuèrent leur route: Jean gaiement; l'étranger avec une
satisfaction visible, et témoignant une grande complaisance pour son
petit protégé; Jeannot, triste et ennuyé du guignon qui le poursuivait et
le mettait toujours au-dessous de Jean.
«Voyez, pensa-t-il, cet étranger, qui ne le connaît pas plus qu'il ne me
connaît, se prend de goût pour lui, et moi il ne m'aime pas; il appelle
Jean mon ami, mon brave garçon, et moi, pleurard, pleurnicheur, jaloux!
Il cause avec Jean; il semblerait qu'ils se connaissent depuis des années!
Et moi, il ne me parle pas, il ne me regarde seulement pas. C'est tout de
même contrariant; cela m'ennuie à la fin. A Paris, je tâcherai de me
séparer de Jean, et de me placer de mon côté.»
Ils arrivèrent à la ville; il était dix heures. L'étranger les mena à l'hôtel
où il était descendu. Il fit servir un déjeuner bien simple, mais copieux.
Ils mangèrent du gigot à l'ail, une omelette au lard, de la salade, et ils
burent du cidre. Quand le repas fut terminé, l'étranger se leva.
«Jean, dit-il, quand tu seras à Paris, tu viendras me voir; je te laisserai
mon adresse; j'y serai dans huit jours. Où logeras-tu?
JEAN.
Je n'en sais rien, monsieur; c'est comme le bon Dieu voudra.
L'ÉTRANGER.
Où demeure ton frère Simon?
JEAN.
Rue Saint-Honoré, n° 263.
L'ÉTRANGER.
C'est bien, je ne l'oublierai pas.... Montre-moi donc ta bourse, que je
voie si ton compte y est.»
Jean la lui présenta sans méfiance.
«Jean, dit l'étranger, veux-tu me faire un présent?
JEAN.
Bien volontiers, monsieur, si j'avais seulement quelque chose à vous
offrir.
L'ÉTRANGER.
Eh bien, donne-moi ta bourse, je te donnerai une des miennes.
JEAN.
Très volontiers, monsieur, si cela vous fait plaisir: elle n'est
malheureusement pas très neuve; c'est M. le curé qui l'a donnée à
maman pour mon voyage.»
L'étranger prit la bourse après l'avoir vidée.
«Attends-moi, dit-il, je vais revenir.»
Il ne tarda pas à rentrer, tenant une bourse solide en peau grise avec un
fermoir d'acier; il reprit la monnaie de Jean, la remit dans un des
compartiments de la bourse, mit dans un autre compartiment le papier
sur lequel il avait écrit son nom et son adresse, et la donna à Jean, en lui
disant tout bas, de peur que Jeannot ne l'entendît:
«Tu trouveras tes vingt francs dans un compartiment séparé; n'en dis
rien à Jeannot, je te le défends.
JEAN.
Je vous obéirai, monsieur, pour vous témoigner ma reconnaissance.
Mais j'aurais préféré que vous les eussiez gardés pour pauvre maman.
--Ta maman les aura; soit tranquille.... Chut! ne dis rien.... Adieu, mon
petit Jean; bon voyage.»
L'étranger serra la main de Jean et fit un signe d'adieu à Jeannot; il leur
remit encore un petit paquet, et il se sépara d'avec ces deux enfants,
dont l'un ne lui plaisait guère, et l'autre lui inspirait un vif intérêt.
Quand ils furent partis, l'étranger se mit à réfléchir.
«C'est singulier, dit-il, que cet enfant m'inspire un si vif intérêt; sa
physionomie ouverte, intelligente, douce, franche et résolue m'a fait
une impression très favorable.... Et puis, j'ai des remords de l'avoir
effrayé au premier abord.... Ce pauvre enfant!... avec quelle candeur il
m'a offert son petit avoir! Tout ce qu'il possédait!... C'était mal à moi!...
Et l'autre me déplaît énormément, je suis fâché qu'ils voyagent
ensemble. Je les retrouverai à Paris; j'irai voir le frère Simon; je veux
savoir ce qu'il est, celui-là. Et si je le soupçonne mauvais, je ne lui
laisserai pas mon petit Jean. Il gardera l'autre s'il veut. J'ai fait un
échange de bourse qui profitera à Jean; la sienne est décousue et
déchirée partout; c'est égal, je veux la garder; cette aventure me laissera
un bon souvenir.»
IV
LA CARRIOLE ET KERSA
Jean et Jeannot marchèrent quelque temps sans parler:
«Dis donc, Jean, dit enfin Jeannot, combien crois-tu qu'il nous faudra
de jours pour arriver à Paris?
JEAN.
Je n'en sais rien; je n'ai pas pensé à les compter.
JEANNOT.
Combien ferons-nous de lieues par jour?
JEAN.
Cinq à six, je crois bien.
JEANNOT.
Mais cela ne nous dit pas combien il y a de lieues d'ici à Paris.
JEAN.
Nous aurions dû demander au monsieur voleur; il nous l'aurait dit.
JEANNOT.
Il n'en sait pas plus que nous. Ces gens riches, ça voyage en voiture; ils
ne savent seulement pas le chemin qu'ils font.»
Une carriole attendait tout attelée devant une maison que les enfants
allaient dépasser. Un homme sortit de la maison et s'apprêta à monter
dans la carriole.
«Monsieur, dit Jean en courant à lui et en ôtant poliment sa casquette,
pouvez-vous nous dire combien nous avons de lieues d'ici à Paris?
L'HOMME.
D'ici

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