ces toits glacés! S'il 
sentait tomber sur ses épaules, sur son âme, ce marteau de plomb que le 
froid, la solitude et le découragement nous collent sur les os! 
Le bonheur, dit-on, rend égoïste... Hélas! ce bonheur réservé aux uns au 
détriment des autres doit rendre tel, en effet. O mon Dieu! le bonheur 
partagé, celui qu'on trouverait en travaillant au bonheur de ses 
semblables, rendrait l'homme aussi grand que sa destinée sur la terre, 
aussi bon que vous-même! 
Je fuyais les heureux, craignant de ne trouver en eux que des égoïstes, 
et je venais chercher ici des malheureux intelligents. Il y en a sans 
doute; mais mon indigence ou ma timidité m'ont empêché de les 
rencontrer. J'ai trouvé mes pareils abrutis ou dépravés par le malheur. 
L'effroi m'a saisi et je me suis retiré seul pour ne pas voir le mal et pour 
rêver le bien; mais chercher seul, c'est affreux, c'est peut-être insensé. 
Je croyais acquérir ici tout au moins l'expérience. Je connaîtrai les 
hommes, me disais-je, et les femmes aussi. Chez nous (en province), il 
n'y a guère qu'un seul type à observer dans les deux sexes: le type de la 
prudence, autrement dit de la poltronnerie. Dans la métropole du 
monde je verrai, je pourrai étudier tous les types. J'oubliais que moi 
aussi, provincial, je suis un poltron, et je n'ai osé aborder personne. 
Je puis cependant me faire une idée de l'homme, en m'examinant, en 
interrogeant mes instincts, mes facultés mes aspirations. Si je suis 
classé dans un de ces types qui végètent sans se fondre avec les autres, 
du moins j'ai en moi des moyens de contact avec ceux de mon espèce. 
Mais la femme! où en prendrai-je la notion psychologique? Qui me 
révélera cet être mystérieux qui se présente à l'homme comme maître 
ou comme esclave, toujours en lutte contre lui? Et je suis assez insensé 
pour demander si c'est un être différent de l'homme!... 
 
CAHIER Nº 1. TRAVAIL. 
TROISIÈME QUESTION. 
_Quelles sont les facultés et les appétits gui différencient l'homme et la 
femme dans l'ordre de la création?_ 
On est convenu de dire que, dans les hautes études, dans la
métaphysique comme dans les sciences exactes, la femme a moins de 
capacités que l'homme. Ce n'est point l'avis de Bayle, et c'est un point 
très-controversable. Qu'en savons-nous? Leur éducation les détourne 
des études sérieuses, nos préjugés les leur interdisent... Ajoutez que 
nous avons des exemples du contraire. 
Quelle logique divine aurait donc présidé à la création d'un être si 
nécessaire à l'homme, si capable de le gouverner, et pourtant inférieur à 
lui? 
Il y aurait donc des âmes femelles et des âmes mâles? Mais cette 
différence constituerait-elle l'inégalité? On est convenu de les regarder 
comme supérieures dans l'ordre des sentiments, et je croirais volontiers 
qu'elles le sont, ne fût-ce que par le sentiment maternel... O ma mère!... 
S'il est vrai qu'elles aient moins d'intelligence et plus de coeur, où est 
l'infériorité de leur nature? J'ai démontré cela en traitant de la nature de 
l'homme, deuxième question. 
 
CAHIER Nº 2. JOURNAL. 
27, minuit. 
Quel temps à porter la mort dans l'âme!... Encore ce soir, j'ai trop lu et 
trop peu travaillé. Héloïse, sainte Thérèse, divines figures, créations 
sublimes du grand artiste de l'univers! 
Des sons lamentables assiègent mon oreille. Ce n'est pas une voix 
humaine, ce grognement sourd. Est-ce le bruit d'un métier? 
J'ai ouvert ma fenêtre, malgré le froid, pour essayer de comprendre ce 
bruit désagréable qui m'eût empêché de dormir si je n'en avais 
découvert la cause. 
J'ai entendu plus distinctement: c'est le son d'un instrument qu'on 
appelle, je crois, une contre-basse. 
La voix plus claire des violons m'a expliqué que cela, faisait partie d'un 
orchestre jouant des contredanses. Il y a des gens qui dansent par un 
temps pareil! quand la, mort semble planer sur cette ville funeste! 
Comme elle est triste, entendue ainsi à distance, et par rafales 
interrompues, leur musique de fête! 
Cette basse, dont la vibration pénètre seule, par le courant d'air de ma 
cheminée, et qui répète à satiété sa lugubre ritournelle, ressemble au 
gémissement d'une sorcière volant sur mon toit pour rejoindre le 
sabbat.
Je m'imagine que ce sont des spectres qui dansent ainsi au milieu d'une 
nuit si noire et si effrayante! 
30 décembre. 
Mon travail n'avance pas; l'isolement me tue. Si j'étais sain de corps et 
d'esprit, la foi reviendrait. La confiance en Dieu, l'amour de Dieu qui a 
fait tant de grands saints et de grands esprits, et que ce siècle 
malheureux ne connaît plus, viendrait jeter la lumière de la synthèse sur 
les diverses parties de mon oeuvre. Oui, je dirais à Dieu: Tu es 
souverainement juste, souverainement bon; tu n'as pas pu asservir, dans 
tes sublimes desseins, l'esclave au maître, le pauvre au riche, le faible 
au fort, la femme    
    
		
	
	
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