mon ouvrage sera terminé à ma satisfaction sur tous les autres 
points. 
26 décembre au soir. 
L'idée de ce matin n'était, je crois, pas mauvaise. J'essaierai de passer 
outre, afin de m'éclairer sur ce point par la lumière que je porterai dans 
toutes les parties de mon oeuvre et que j'en ferai jaillir. Je me sens un
peu ranimé par cette espérance... J'ignore si c'est le froid, le ciel noir et 
le vent, qui siffle sur ces toits, qui tiennent mon âme captive; mais il y a 
des moments où je n'ai plus confiance en moi-même, et où je me 
demande sérieusement si je ne ferais pas mieux de planter des choux 
que de m'égarer ainsi dans les âpres sentiers de la métaphysique. 
 
CAHIER N°1. TRAVAIL. 
QUATRIÈME QUESTION. 
_Quelle sera l'éducation des enfants_ dans ma république idéale? 
C'est-à-dire d'abord _à qui sera confiée l'éducation des enfants?_ 
RÉPONSE. 
A l'État. La société est la mère abstraite et réelle de tout citoyen, depuis 
l'heure de sa naissance jusqu'à celle de sa mort. Elle lui doit... (Voir 
pour plus ample exposé, mon cahier numéro 3, où ce principe est 
suffisamment développé.) 
INSTITUTION. 
_La première enfance de l'homme sera exclusivement confiée à la 
direction de la femme._ 
QUESTION. 
_Jusqu'à quel âge?_ 
RÉPONSE. 
_Jusqu'à l'âge de cinq ans._ 
C'est trop peu. Un enfant de cinq ans serait trop cruellement privé des 
soins maternels. 
_Jusqu'à l'âge de dix ans._ 
C'est trop. L'éducation intellectuelle peut et doit commencer beaucoup 
plus tôt. 
RÉPONSE. 
_ A partir de l'âge de cinq ans, jusqu'à celui de dix ans, l'éducation des 
mâles sera alternativement confiée à des femmes et à des hommes._ 
QUESTION. 
_Quelle sera la part d'éducation attribuée à la femme?_ 
Je l'ai trop exclusivement supposée purement hygiénique. J'ai semblé 
admettre, dans le titre précédent, que l'homme seul pouvait donner 
l'enseignement scientifique. La femme ne doit-elle pas préparer, même 
avant l'âge de cinq ans, cette jeune intelligence à recevoir les hauts 
enseignements de la science, de la morale et de l'art?
Cela me fait aussi songer que j'établis a priori une distinction arbitraire 
entre l'éducation des mâles et celle des femelles, presque dès le berceau. 
Il faudrait commencer par définir la différence intellectuelle et morale 
de l'homme et de la femme... 
 
CAHIER N°2. JOURNAL. 
27 décembre. 
Cette difficulté m'a arrêté court; je vois que j'étais fou de vouloir passer 
à la quatrième question avant d'avoir résolu la troisième. Jamais je ne 
fus si pauvre logicien. Je gage que le froid me rend malade, et que je ne 
ferai rien qui vaille tant que soufflera ce vent du nord! 
Lugubre Paris! mortel ennemi du pauvre et du solitaire! tout ici est 
privation et souffrance pour quiconque n'a pas beaucoup d'argent. Je 
n'avais pas prévu cela, je n'avais pas voulu y croire, ou plutôt je ne 
pouvais pas y songer, alors que l'ardeur du travail, la soif des lumières 
et le besoin impérieux de nager dans les livres me poussaient vers toi, 
Paris ingrat, du fond de ma vallée champêtre! A Paris, me disais-je, je 
serai à la source de toutes les connaissances; au lieu d'aller emprunter 
péniblement un pauvre ouvrage à un ami érudit par hasard, ou à 
quelque bibliothèque de province, ouvrage qu'il faut rendre pour en 
avoir un autre, et qu'il faut copier aux trois quarts si l'on veut ensuite se 
reporter au texte, j'aurai le puits de la science toujours ouvert; que 
dis-je, le fleuve de la connaissance toujours coulant à pleins bords et à 
flots pressés autour de moi! Ici je suis comme l'alouette qui, au temps 
de la sécheresse, cherche une goutte de rosée sur la feuille du buisson, 
et ne l'y trouve point. Là-bas, je serai comme l'alcyon voguant en pleine 
mer. Et puis, chez nous, on ne pense pas, on ne cherche pas, on ne vit 
point par l'esprit. On est trop heureux quand on a seulement le 
nécessaire à la campagne! On s'endort dans un tranquille bien-être, on 
jouit de la nature par tous les pores; on ne songe pas au malheur 
d'autrui. Le paysan lui-même, le pauvre qui travaille aux champs, au 
grand air, ne s'inquiète pas de la misère et du désespoir qui ronge la 
population laborieuse des villes. Il n'y croit pas; il calcule le salaire, il 
voit qu'en fait c'est lui qui gagne le moins, et il ne tient pas compte du 
dénûment de celui qui est forcé de dépenser davantage pour sa 
consommation. Ah! s'il voyait, comme je les vois à présent, ces 
horribles rues noires de boue, où se reflète la lanterne rougeâtre de
l'échoppe! S'il entendait siffler ce vent qui, chez nous, plane 
harmonieusement sur les bois et sur les bruyères, mais qui jure, crie, 
insulte et menace ici, en se resserrant dans les angles d'un labyrinthe 
maudit, et en se glissant par toutes les fissures de    
    
		
	
	
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