il est plus que majeur. Votre fils 
est amoureux, votre fils a une fortune indépendante qui lui vient de son 
père et qu'on ne peut pas lui ôter, votre fils est avocat depuis trois ans et 
n'a pas besoin de vous pour vivre; il aime, on l'aime et il fera pour 
épouser notre belle Hyacinthe tous les actes respectueux qu'il faudra 
faire. 
M. Bouchardy, d'un geste noble, interrompit son confrère: 
--Vous vous trompez, mon ami. Notre fils Michel ne vous fera jamais 
d'actes respectueux. Il sait trop ce qu'il nous doit... 
--Sait-il aussi, demanda Saumonet en riant, ce que vous lui devez? A-t 
il demandé des comptes de tutelle?
--Jamais! 
--Sait-il, qu'au plus bas mot, vous lui devez, vous la mère et tutrice, 
plus de 80.000 fr., et que cet argent n'est pas perdu, que vous ne l'avez 
pas prêté aux Turcs ni aux Egyptiens, mais placé en bonnes rentes 
françaises, qui ne périront pas, car la France entière leur sert 
d'hypothèque?... 
--Eh bien, Saumonet, est-ce que vous nous faites un crime de notre 
prudence? Si par une sage administration nous avons augmenté la 
fortune dont Michel héritera un jour..., après notre mort..., le plus tard 
possible..., est-ce un motif pour lui de nous manquer de respect et de 
braver notre volonté maternelle? Faut-il nous dépouiller du fruit de 
notre économie?... Et enfin, si nos conditions vous paraissent trop dures, 
si vous comptez sur la folle passion d'un fils dénaturé, si vous croyez 
qu'il osera nous envoyer des actes respectueux, allez faites; nous aurons 
le plaisir de voir M. Forestier, député de Creux-de-Pile, essayer 
d'introduire de force sa fille unique dans une famille honorable, nous 
verrons si cette fille elle-même y consentira, nous verrons surtout si sa 
mère, madame Rosine Forestier... 
M. Bouchardy, mon patron, avait le souffle puissant et pouvait parler 
plusieurs minutes sans reprendre haleine, ce qui est, dit-on le signe 
distinctif des grands orateurs; mais M. Saumonet l'interrompit, car il 
était sec et piquant autant que l'autre était verbeux et majestueux. 
--Enfin, demanda-t-il, que voulez-vous dire? Parlons franchement, et 
que chacun lâche son dernier mot, car cinq heures vont sonner. 
Avez-vous des pleins pouvoirs pour traiter? 
--J'en ai, répondit M. Bouchardy, subjugué par cette impétuosité. 
--Moi aussi... Qui est-ce qui fait des difficultés pour ce contrat? ce n'est 
pas le jeune homme, je pense? 
--Michel! Ah! Dieu, non! Il ne demande qu'à conclure, n'importe à quel 
prix, et qu'à emporter la jeune Hyacinthe au pays où fleurit l'oranger.
--Alors, c'est madame Bernard? Je comprends ça... Elle avait l'argent de 
son fils et les clefs. Il faut les rendre. C'est dur. Le père en mourant 
avait laissé la jouissance de la moitié de sa fortune à sa femme, mais 
seulement jusqu'au mariage de son fils. S'il se marie, il faut y renoncer. 
C'est 6.000 francs par an, au moins. Demander une dot de 200.000 
francs à M. Forestier, père de la future, c'est rompre le mariage, en 
feignant de soutenir avec trop de zèle les intérêts de Michel. Voilà 
pourquoi, Bouchardy, vous mettez des bâtons dans les roues. C'est 
l'ordre de la vieille dame que vous suivez? 
M. Bouchardy se mit à rire et répliqua: 
--Vous l'avez deviné Saumonet. Madame Bernard ne veut pas remettre 
à une bru le gouvernement de la maison; elle veut encore moins lâcher 
la jouissance de 6.000 francs de rente que lui assure le testament de son 
mari, jusqu'au mariage de son fils, et si elle était forcée de laisser 
Michel se marier, elle veut lui vendre son consentement le plus cher 
possible. 
--Michel le sait-il? 
--Comme vous et moi. Mais, par respect, il feint de ne rien deviner de 
tous ces calculs. En revanche, il m'a chargé, lui aussi, de ses pleins 
pouvoirs, et s'il ne tient qu'à lui, tout sera bientôt terminé... A votre tour, 
maintenant, Saumonet, je vais confesser vos clients, comme vous avez 
confessé les miens. 
--Faites, répliqua l'autre notaire. 
--Qu'est-ce que le père Forestier donne pour dot à sa fille? 100.000 
francs. Pas davantage. 
--Sans doute, dit M. Saumonet, mais il en garde à peine autant pour 
lui-même. 
--Et la fortune de sa femme, qui est de plus de 400.000 francs? 
--Madame Forestier fait bourse à part. Elle administre elle-même ses
revenus et n'en rend compte à personne. En revanche, elle se fait 
expliquer jusqu'au moindre centime l'emploi de l'argent de son mari. 
Elle le tient même si serré que le pauvre homme est obligé, de temps en 
temps, d'emprunter cinq ou six francs qu'il rembourse comme il peut, 
en faisant croire à la dame que ce sont des dépenses électorales. 
--Donc, Saumonet, la femme ne voulait rien donner et le mari ne 
pouvant pas donner plus de cent mille francs, le mariage est rompu? 
--Je le crains. 
M. Bouchardy se mit à siffler en regardant le jardin, l'horizon bleu, d'un    
    
		
	
	
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