Histoires Grises | Page 8

E. Edouard Tavernier
rapidement la figure d'avoir un aper?u d'ensemble dans le miroir trop petit et dont la surface ondul��e d��formait les lignes en mouvement.
Il prit par le chemin le plus long, tourna autour des pat��s de maisons et finit enfin par se lancer de l'autre c?t�� de la rue, �� un moment o�� l'agent -- celui de la veille -- plaisantait avec une fille courtaude qui sortait. A un pas de la porte, il allait passer, son coeur lui donnait des coups dans la poitrine, lorsque l'agent se retourna, le nez sur lui:
- Mais je t'ai vu hier toi, le commissionnaire, lui dit le policier. Tu as un batt'chapeau aujourd'hui.
Plutarque essaya de sourire. L'autre continua:
- Tu as sans doute une autorisation, une plaque, quelque chose pour revenir quand je t'ai dit de f... le camp.
Plusieurs personnes s'��taient arr��t��es, �� c?t�� de la fille qui, le poing �� la hanche, ��coutait; la galerie ��tait constitu��e: Plutarque ��tait perdu.
- Non, r��pondit-il doucement, je n'ai rien, je travaille.
- Et tu te maquilles en commissionnaire, pour voler, salaud, reprit l'agent. Allez, allez, avec moi, on va voir ?a.
Il siffla un coll��gue qui tournait sur le trottoir d'en face, le pria de le remplacer et partit.
- ?a y est, pensa Plutarque, en marchant.
Comme il aurait mieux fait de ne pas venir, d'attendre au moins. Sans espoir maintenant, il essaya des explications:
- C'est vrai, M'sieur l'agent, je travaille, vous pouvez demander.
L'agent ne r��pondit pas.
- Et si je vous promets, Monsieur, de ne plus y aller, au march��... plus jamais.
- C'est fini la litanie, dit �� haute voix le gardien.
Alors brusquement, une id��e folle vint �� Plutarque, une de ces id��es stupides qui jaillissent soudainement en nous et qui compromettent tout: fuir.
Au premier coin de rue, il fit un bond brusque en arri��re, fit un saut �� droite et un �� gauche pour d��pister l'agent qui tr��bucha, et il partit de toute sa vitesse �� grandes enjamb��es, avec une agilit�� de singe, courant comme il ne se serait jamais cru capable de courir, comme un fou. L'agent suivait derri��re. Les rares passants se gardaient bien d'intervenir.
Plutarque voulait gagner les fortifications qu'il connaissait et o�� l'on peut se cacher et se perdre. Il menait son train. Il atteignit les pentes gazonn��es du rempart pr��s de Boulogne. Sa manoeuvre �� travers les rues avait ��t�� si savante, sa chance si particuli��re, qu'en arrivant sur les talus, il n'��tait encore suivi que par son agent. Il escalada les escarpes, sauta dans les petits chemins et remonta sur le bord jusqu'�� ce que brutalement une douleur �� l'estomac l'averti qu'il ��tait �� bout, qu'il ne pouvait plus; un effondrement de terrain s'offrait, il le d��gringola jusque dans le foss��. L��, il fit encore quelques pas et s'arr��ta, appuy�� au mur.
Il vit l'agent se rapprocher, tenir le coup, lui, plus fort sur ce chapitre aussi. Alors il sentit son couteau dans sa poche, il l'ouvrit, le cachant entre le mur et lui, et au moment pr��cis o��, dans la derni��re foul��e, son chasseur l'atteignait, Plutarque, ext��nu��, lui enfon?a la lame dans le cou, sous l'oreille. L'agent roula par terre, abattu; sa rude main encore cramponn��e au bras de Plutarque. Celui-ci, pour se d��gager, dut le tra?ner quelques pas.
... Le lendemain, dans un bar de Suresnes, Plutarque ��tait pris par des policiers habill��s en bourgeois.

V
Apr��s trois mois de pr��vention, Plutarque passait aux Assises. Son proc��s n'��tait pas celui d'une de ces affaires sensationnelles qui font tant de bruit �� Paris. Il n'y avait pas de grand t��moin; l'agent de police avait ��t�� gu��ri apr��s dix jours d'h?pital, Plutarque avouait. C'��tait une petite affaire banale, comme il en a tant. Le public ��tait peu nombreux. En comparaison avec l'apre froid du dehors, la chaleur ��tait s��che et congestionnante, une de ces chaleurs administratives dont personne ne paye le combustible. On sentait le p��trole et la cr��osote. L'acte d'accusation ��tait si long, et redisait des choses si souvent entendues �� tous les degr��s d'instruction, que Plutarque se sentit tout de suite loin de la com��die qui se jouait, comme s'il avait ��t�� un simple badaud spectateur et qu'il se f?t agi d'un autre; il trouvait ce spectacle terriblement ennuyeux. La mise en sc��ne ��tait ridicule; ces messieurs, costum��s pour une semblable c��r��monie, un peu grotesques en d��pit de toutes les pr��cautions, depuis le pr��sident qui paraissait ��tre seul �� travailler, jusqu'�� cet huissier qu'on avait affubl�� d'une robe noire pour faire entrer les t��moins. A part les jur��s qui avaient l'air heureux d'enfants autoris��s �� toucher un fusil, tous les autres pensaient chacun �� ses petites affaires, et c'��tait tr��s naturel. Leur air de chiens fouett��s s'accordait mal avec la solennit�� du d��cor et l'emphase des paroles, o�� revenaient �� chaque instant de grands mots �� majuscule: l'Honneur, la Justice, qui ne faisaient rien �� l'histoire et
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