appareil, et descendit l'escalier pour tenir la bride du cheval, pendant que le géant mettait 
pied à terre avec toute sa suite. Pantafilando, remettant son cheval à un palefrenier nègre, 
monta les degrés côte à côte avec Pierrot. 
Au dernier, Pierrot se retourna et vit que les cent mille Tartares suivaient leur prince dans 
le palais. Il s'arrêta et dit au géant: 
--Sire, S.M. le roi de la Chine sera sans doute très-heureux de vous donner l'hospitalité 
dans son palais, mais il est bien difficile de loger tous ces braves cavaliers. 
--Eh bien, dit gaiement Pantafilando, ceux qui ne pourront pas entrer resteront dehors. 
D'ailleurs, mes soldats ne sont pas difficiles. N'est-ce pas, amis, que vous n'êtes pas 
difficiles? 
--Non, non, crièrent à la fois d'une voix de tonnerre les cent mille Tartares; nous ne 
sommes pas difficiles. Nous coucherons un peu partout. 
--Avez-vous la gale? cria Pantafilando. 
--Non. 
--Avez-vous la teigne? 
--Non. 
--Avez-vous la peste? 
--Non. 
--Entrez donc! 
Pierrot regarda autour de lui. La compagnie dont il avait le commandement était de cent 
hommes seulement, qui tremblaient de peur à la vue du seul Pantafilando. Engager le 
combat et faire respecter la consigne eût été folie. C'était mettre à feu et à sang la capitale 
de l'empire. Manquer à sa consigne, c'était se faire couper le cou, et Pierrot savait bien 
que le grand Vantripan n'y manquerait pas, ne fût-ce que pour se venger de la frayeur que 
lui inspirait l'empereur des îles Inconnues. 
--De quoi s'avise ce grand escogriffe, disait-il, de faire un pareil esclandre? S'il veut se 
marier, n'y a-t-il pas des filles dans son pays? Après tout, qu'est-ce qu'une femme? C'est 
un être plus petit que nous, plus bavard, plus médisant, plus paresseux, plus joli si l'on 
veut, qui porte plusieurs jupons et qui n'a pas de barbe. N'est-ce pas là de quoi massacrer 
des centaines de mille hommes et brûler tout un pays?
A ce moment de ses réflexions, il sentit une douleur assez vive, comme si on lui tirait les 
oreilles. C'était la fée Aurore. Elle avait entendu ce beau monologue. 
--Pierrot, dit-elle, j'ai bien envie de te planter là, car tu n'es pas bon à grand'chose. 
Dis-moi, connais-tu ce beau vers de M. Legouvé? 
...Parle mieux d'un sexe à qui tu dois ta mère. 
--Hélas! dit le pauvre capitaine, M. Legouvé s'est-il jamais trouvé en face du féroce 
Pantafilando et de ses cent mille Tartares? 
--Laisse-moi faire et ne t'inquiète pas des Tartares. 
En même temps elle parut en costume de dame d'honneur aux yeux du géant, qui ne 
l'avait pas encore vue. Vous imaginez assez ce que devait être la fée Aurore en dame 
d'honneur. Les plus belles filles d'Ève n'étaient auprès d'elle que des cailloux bruts, 
comparés aux purs diamants de Golconde. C'était une grâce, une lumière, une divinité. 
Tout en elle paraissait rose, transparent, diaphane, fait d'une goutte de lait dorée par un 
rayon de soleil. Elle regarda les cent mille Tartares, et tous, d'un commun accord, se 
prosternèrent contre terre. Pantafilando lui-même en fut ébranlé jusqu'au fond du coeur; il 
se sentit subitement radouci, ramolli, et saisi d'un transport de joie dont la cause lui était 
inconnue. Quant à Pierrot, il était ravi et transporté en esprit au-dessus des planètes. Il ne 
craignait plus ni le géant ni personne. Il ne craignait que de ne pas exécuter assez vite les 
ordres de sa marraine. 
--Seigneur, dit-elle à Pantafilando, la princesse Bandoline, ma maîtresse, qui a depuis 
longtemps entendu parler de vos exploits, est ravie de vous voir. Mais elle vous prie 
d'entrer seul dans ce palais avec deux ou trois officiers. C'est en habit de fête et non en 
habit de guerre qu'il faut venir voir sa fiancée. 
--Mon enfant, dit le gros Pantafilando, si ta maîtresse a seulement la moitié de ta beauté, 
mon coeur et ma main sont à elle; mais, sans aller plus loin, si tu veux m'épouser, je te 
fais dès à présent impératrice des îles Inconnues, et pour peu que tu le désires, j'y joindrai 
le royaume de la Chine, que mes Tartares et moi nous dévorerons en un instant. N'est-ce 
pas, amis? dit-il en se tournant vers son escorte. 
--Oui, oui, s'écrièrent à la fois les cent mille Tartares en remuant les mâchoires comme 
des castagnettes; nous mangerons la Chine et tous ses habitants. 
Cette armée était si admirablement disciplinée, que chaque soldat buvait, mangeait, 
dormait, marchait et parlait à la même heure, à la même minute que tous ses camarades. 
C'était un modèle d'armée. Chaque matin on lui disait ce qu'elle devait penser dans la 
journée, et, en vérité, il n'y avait pas d'exemple de soldat qui eût pensé à droite ni à 
gauche contre les ordres de son chef. 
--Seigneur, répliqua la fée en souriant, tant d'honneur ne m'appartient pas; mais souffrez    
    
		
	
	
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