le mettait dès l'abord de plain-pied avec 
tous ceux qu'il voyait. Arrivé à quelques pas du roi, il s'arrêta modestement. 
--Approche, drôle, lui dit gaiement le roi. D'où sors-tu? Je ne t'ai jamais vu. 
--Sire, dit Pierrot, le soleil ne regarde pas les hommes, mais tous les hommes regardent le 
soleil. 
Cette réponse fit le meilleur effet. Vantripan, flatté de se voir comparé au soleil, croisa 
ses mains sur son ventre avec satisfaction. Quant à Pierrot, s'il répondait par une flatterie, 
c'est qu'il ne se souciait pas d'une réponse plus directe. Au milieu de tant de grands 
seigneurs, il sentait qu'il n'aurait pas beau jeu à dire: Je suis Pierrot, fils de Pierre le 
meunier et de Pierrette sa femme. Cette généalogie honnête, mais modeste, aurait fait rire 
toute la cour. Pierrot ne reniait pas sa famille, mais il n'en parlait pas; c'était un 
commencement d'ingratitude. 
Quoi qu'il en soit, dès les premiers mots Pierrot fit merveille. La reine lui fit quelques 
questions et trouva ses réponses admirables. Le prince Horribilis lui dit des méchancetés 
qui furent repoussées avec fermeté par Pierrot, mais sans qu'il osât riposter à un si 
dangereux adversaire. La princesse Bandoline elle-même daigna détourner ses yeux de la 
glace où elle se contemplait elle-même, et après l'avoir considéré quelque temps au 
moyen d'un lorgnon à verre de vitre, elle se pencha vers sa mère et dit assez haut pour 
être entendue de Pierrot: 
--Il est assez bien de sa personne, ce petit. 
Ce fut le signal des compliments. Toute la cour se jeta sur Pierrot et voulut l'embrasser. 
Celui-ci ne savait comment se débarrasser de la foule d'amis qu'il avait acquis si 
subitement; il s'en tira pourtant avec assez de bonheur, grâce aux secours de la fée Aurore 
qui, sans se montrer, lui soufflait toutes ses réponses. 
Pour que la leçon fût complète, elle voulut aider elle-même à sa fortune. 
La voix de Vantripan fit cesser ce tumulte. 
--Pierrot, dit-il, tu me plais, et je t'attache à notre personne sacrée. Je te donne une 
compagnie dans mes gardes. 
--Il faut convenir, pensa Pierrot, que je suis né coiffé. Qui m'aurait dit cela dans la forêt 
des Ardennes? 
Il se précipita aux genoux du roi, baisa sa main royale et celles de la reine et de la belle 
Bandoline; quant au prince Horribilis, au moment où Pierrot s'avançait pour la même 
cérémonie, il lui appliqua sur le nez une croquignole si vive, que le malheureux page
recula de trois pas. 
--Qu'est-ce? dit Vantripan. 
--C'est votre nouveau capitaine qui vient de se heurter le nez, dit sur-le-champ Horribilis. 
Pierrot n'osa le démentir. 
--A-t-il de l'esprit, mon bel Horribilis! dit la reine qui avait vu donner la croquignole. 
--Assez, répondit négligemment la belle Bandoline, qui lissait ses cheveux avec ses 
doigts blancs comme la neige. 
--Maintenant, dit Vantripan en se levant, nous avons assez travaillé aujourd'hui. Si nous 
faisions une petite collation? 
Tout le monde le suivit, même Pierrot, qui fit collation, et soupa avec messieurs les 
capitaines des gardes. 
Dès le lendemain il entra en fonction, fit l'exercice du cheval et du sabre, et montra des 
dispositions admirables. 
En peu de jours il l'emporta sur tous ses camarades, ce qui lui ôta le peu d'amis qu'aurait 
pu lui laisser sa rapide fortune. Si facile à réparer que fût cette perte, Pierrot s'y montra 
sensible: il n'était pas encore accoutumé au bel air de la cour et aux usages du monde. 
Un mois après l'arrivée de Pierrot, le bruit se répandit que le géant Pantafilando, 
empereur des îles Inconnues, sur la réputation de beauté de la princesse Bandoline, la 
faisait demander en mariage. Tout le monde sait que les îles Inconnues, semblables à l'île 
de Barataria du fameux Sancho Pança, sont situées en terre ferme à cinq cents lieues au 
nord des monts Altaï, et confinent au Kamtchatka. On sait aussi que ces îles sont appelées 
Inconnues à cause du grand éloignement où elles sont de la mer et des poissons, qui 
jamais n'en entendirent parler. L'occasion se présentera peut-être plus tard de donner sur 
cette géographie nouvelle quelques détails que j'emprunterai aux livres magiques du 
magicien Alcofribas. La description du magicien commence ainsi: 
[Illustration] 
Ce qui veut dire, dans la langue qu'emploient le diable et ses adeptes pour communiquer 
ensemble: 
Hrhadhaghâ, mhushkhokhinhgûm, Bhahrhatâ, Abbrakhadhabrâ. 
Et en français: 
Écoutez tous, petits et grands, Celui qui mange les petits enfants. 
Revenons à la demande en mariage du géant Pantafilando. Ce grand prince n'avait pas cru 
qu'elle pût être rejetée; aussi vint-il la faire lui-même à la tête de cent mille cavaliers qui
entrèrent le sabre au poing dans la capitale de la Chine, et l'accompagnèrent à cheval 
jusqu'au grand escalier du palais du roi. 
Par hasard, Pierrot était de garde ce jour-là avec sa compagnie. Il fut un peu étonné de cet    
    
		
	
	
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