baraques (c'est 
son terme) où l'on entroit à quatre pattes; elle a même idée que ces 
huttes étoient couvertes de neige. Elle ajoute qu'elle étoit souvent sur 
les arbres, soit pour se garantir des bêtes féroces, soit pour mieux 
découvrir de loin les animaux proportionnés à ses forces & à ses 
besoins, & de-là se jetter dessus pour en faire sa nourriture. Ces 
premières traces, cette idée de sa première habitation, étoient si 
fortement gravées dans son cerveau, que dans le temps où elle 
commençoit à entendre le François, mais où elle ne pouvoit encore 
s'exprimer; ce qui ne lui arriva que long-temps après sa prise, lorsqu'on 
lui demandoit d'où elle étoit, & qui étoient ses pere & mere, elle 
montroit un arbre, si elle étoit à portée de le faire, & la terre qui étoit au 
pied. Le seul événement de son enfance dont elle ait conservé un léger 
souvenir, c'est que lorsqu'elle étoit, dit-elle, bien petite, elle avoit vû 
dans la mer ou dans la rivière, elle n'a pû me dire lequel, une grosse 
bête qui nageoit avec deux pattes comme un chien, que sa tête étoit 
ronde comme celle d'un dogue, avec de grands yeux étincellans; que la 
voyant venir à elle comme pour la dévorer, elle s'étoit sauvée à terre, & 
s'étoit enfuie bien loin. Je lui demandai si cette bête n'avoit que deux 
pattes; si elle avoit du poil, & de quelle couleur elle étoit: elle me dit, 
qu'elle ne s'étoit pas donné le temps de la bien examiner, mais qu'elle 
n'avoit vû que deux pattes dont la bête battoit l'eau; qu'elle sembloit 
dehors à mi-corps, tout le reste étant sous l'eau; qu'il lui paroissoit 
qu'elle avoit vû du poil qui étoit gris-noirâtre & court, à peu-près, 
ajouta-t-elle, comme ces chiens qui ont le poil raz. 
Cette description, si ressemblante à celle du Loup marin[6], cette forte 
inclination que Mlle le Blanc a conservé pendant plusieurs années 
depuis son séjour en France, pour se jetter dans l'eau, d'y pêcher à la
main, d'y nager comme un poisson malgré le froid & la glace, de ne 
manger rien que de crud; les défaillances & les évanouissemens qu'elle 
éprouvoit dans les premiers temps à la chaleur du feu ou du soleil, me 
paroissent des preuves certaines qu'elle est née dans le Nord aux 
environs de la mer glaciale, où se fait la pêche des Loups marins. Et 
plusieurs autres observations, dont je ferai le Lecteur juge, me font 
soupçonner qu'elle est de la nation des Esquimaux, qui habitent la terre 
de Labrador, au nord du Canada. 
[6] Voyez l'Extrait des Voyages de la Hontan, Nº. 6. 
Mlle le Blanc convient qu'il y a plusieurs choses, dans ce qu'elle m'a 
raconté à diverses reprises, dont elle n'oseroit assurer avoir conservé un 
souvenir distinct & sans mêlange des connoissances qu'elle a acquises 
depuis qu'elle a commencé à réfléchir sur les questions qu'on lui fit 
alors, & qu'on a continué de lui faire depuis. 
Cependant elle a toujours dit ou fait entendre, lorsqu'elle parloit à peine 
François, qu'elle avoit passé deux fois la mer; elle l'assura positivement 
à M. de la Condamine en 1747. Quant à ce qu'elle a dit quelquefois 
qu'elle a été long-temps sur mer, parce que le Vaisseau s'arrêtoit en 
différentes Isles, elle sent bien aujourd'hui que ce ne peut être là qu'une 
répétition de quelque commentaire qu'elle a entendu faire sur ses 
avantures. Je tiens de M. de L.. qu'il a oui dire chez M. le Vicomte 
d'Epinoy, que les deux petites Sauvages avoient même été vendues 
dans quelqu'une des Isles d'Amérique; qu'elles faisoient le plaisir d'une 
Maîtresse, mais que le mari ne pouvant les souffrir, la Maîtresse avoit 
été obligée de les revendre & de les laisser rembarquer, soit dans leur 
premier Vaisseau, soit dans quelqu'autre. Ces circonstances cadrent 
assez à celles qui sont rapportées dans la Lettre déja citée, imprimée 
dans le Mercure de France; mais on voit bien, encore une fois, que ces 
détails ne peuvent être que le résultat des conjectures, plus ou moins 
probables, que l'on forma sur les premiers signes & les premiers 
discours qu'on put tirer de la jeune Fille quand elle commença de parler 
François, quelques mois après qu'elle eut été trouvée, & qu'il est bien 
difficile de compter sur les circonstances d'un récit aussi détaillé, qui ne 
pourroit avoir été fait que par signes.
Je ne sais si on doit faire beaucoup plus de fond sur le prétendu 
souvenir de Mlle le Blanc, qu'il y avoit sur le Vaisseau qui l'a 
transportée, des gens qui entendoient son langage, qui ne consistoit 
qu'en cris aigus & perçans, formés dans la gorge, sans aucune 
articulation ni mouvement de lèvres. Quant à ses deux embarquemens 
dont elle a conservé une idée assez distincte, & sur quoi elle n'a jamais 
varié; ce qui    
    
		
	
	
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