Histoire de la Revolution francaise, III | Page 2

Adolphe Thiers
dans les départemens pour y justifier sa conduite, y conseiller son exemple, y recommander aux électeurs des députés de son choix, et y décrier ceux qui la contrariaient dans l'assemblée législative. Elle se procurait ensuite des valeurs immenses, en saisissant les sommes trouvées chez le trésorier de la liste civile, Septeuil, en s'emparant de l'argenterie des églises et du riche mobilier des émigrés, en se faisant délivrer enfin par le trésor des sommes considérables, sous le prétexte de soutenir la caisse de secours, et de faire achever les travaux du camp. Tous les effets des malheureux massacrés dans les prisons de Paris et sur la route de Versailles avaient été séquestrés, et déposés dans les vastes salles du comité de surveillance. Jamais la commune ne voulut représenter ni les objets, ni leur valeur, et refusa même toute réponse à cet égard, soit au ministère de l'intérieur, soit au directoire du département, qui, comme on sait, avait été converti en simple commission de contributions. Elle fit plus encore, elle se mit à vendre de sa propre autorité le mobilier des grands h?tels, sur lesquels les scellés étaient restés apposés depuis le départ des propriétaires. Vainement l'administration supérieure lui faisait-elle des défenses: toute la classe des subordonnés chargés de l'exécution des ordres, ou appartenait à la municipalité, ou était trop faible pour agir. Les ordres ne recevaient ainsi aucune exécution.
La garde nationale, recomposée sous la dénomination de sections armées, et remplie d'hommes de toute espèce, était dans une désorganisation complète. Tant?t elle se prêtait au mal, tant?t elle le laissait commettre par négligence. Des postes étaient complètement abandonnés, parce que les hommes de garde, n'étant pas relevés, même après quarante-huit heures, se retiraient épuisés de dégo?t et de fatigue. Tous les citoyens paisibles avaient quitté ce corps, naguère si régulier, si utile; et Santerre, qui le commandait, était trop faible et trop peu intelligent pour le réorganiser.
La s?reté de Paris était donc livrée au hasard, et d'une part la commune, de l'autre la populace, y pouvaient tout entreprendre. Parmi les dépouilles de la royauté, les plus précieuses, et par conséquent les plus convoitées, étaient celles que renfermait le Garde-Meuble, riche dép?t de tous les effets qui servaient autrefois à la splendeur du tr?ne. Depuis le 10 ao?t, ce dép?t avait éveillé la cupidité de la multitude, et plus d'une circonstance excitait la surveillance de l'inspecteur de l'établissement. Celui-ci avait fait réquisitions sur réquisitions pour obtenir une garde suffisante; mais soit désordre, soit difficulté de suffire à tous les postes, soit enfin négligence volontaire, on ne lui fournissait point les forces qu'il demandait. Pendant la nuit du 16 septembre, le Garde-Meuble fut volé, et la plus grande partie de ce qu'il contenait passa dans des mains inconnues, que l'autorité fit depuis d'inutiles efforts pour découvrir. On attribua ce nouvel événement aux hommes qui avaient secrètement ordonné les massacres. Cependant ils n'étaient plus excités ici ni par le fanatisme, ni par une politique sanguinaire; et, en leur supposant le motif du vol, ils avaient dans les dép?ts de la commune de quoi satisfaire la plus grande ambition. On a dit, à la vérité, qu'on fit cet enlèvement pour payer la retraite du roi de Prusse, ce qui est absurde, et pour fournir aux dépenses du parti, ce qui est plus vraisemblable, mais ce qui n'est nullement prouvé. Au reste, le vol du Garde-Meuble doit peu influer sur le jugement qu'il faut porter de la commune et de ses chefs. Il n'en est pas moins vrai que, dépositaire de valeurs immenses, la commune n'en rendit jamais aucun compte; que les scellés apposés sur les armoires furent brisés, sans que les serrures fussent forcées, ce qui indique une soustraction et point un pillage populaire, et que tant d'objets précieux disparurent à jamais. Une partie fut impudemment volée par des subalternes, tels que Sergent, surnommé Agathe à cause d'un bijou précieux dont il s'était paré; une autre partie servit aux frais du gouvernement extraordinaire qu'avait institué la commune. C'était une guerre faite à l'ancienne société, et toute guerre est souillée du meurtre et du pillage.
Telle était la situation de Paris, pendant qu'on faisait les élections pour la convention nationale. C'était de cette nouvelle assemblée que les citoyens honnêtes attendaient la force et l'énergie nécessaires pour ramener l'ordre: ils espéraient que les quarante jours de confusion et de crimes, écoulés depuis le 10 ao?t, ne seraient qu'un accident de l'insurrection, accident déplorable mais passager. Les députés même, siégeant avec tant de faiblesse dans l'assemblée législative, ajournaient l'énergie à la réunion de cette convention, espérance commune de tous les partis.
On s'agitait pour les élections dans la France entière. Les clubs exer?aient à cet égard une grande influence. Les jacobins de Paris avaient fait imprimer et répandre la liste de tous les votes émis pendant la session législative, afin qu'elle
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