nature semblait s'être plu à 
combler la France de tous les biens, en lui accordant les plus belles 
récoltes. De toutes les provinces on annonçait que la moisson serait 
double, et mûre un mois avant l'époque accoutumée. C'était donc le 
moment de prosterner cette république sauvée, victorieuse et comblée 
de tous les dons, aux pieds de l'Éternel. L'occasion était grande et 
touchante pour ceux de ces hommes qui croyaient; elle était opportune 
pour ceux qui n'obéissaient qu'à des idées politiques. 
Remarquons une chose bien singulière. Des sectaires pour lesquels il 
n'existait plus aucune convention humaine qui fût respectable; qui, 
grâce à leur mépris extraordinaire pour tous les autres peuples, et à 
l'estime dont ils étaient remplis pour eux-mêmes, ne redoutaient aucune 
opinion, et ne craignaient pas de blesser celle du monde; qui, en fait de 
gouvernement, avaient tout réduit à l'absolu nécessaire; qui n'avaient 
admis d'autre autorité que celle de quelques citoyens temporairement 
élus; qui avaient rejeté toute hiérarchie de classes; qui n'avaient pas 
craint d'abolir le plus ancien et le mieux enraciné de tous les cultes, de 
tels sectaires s'arrêtaient devant deux idées, la morale et Dieu. Après 
avoir rejeté toutes celles dont ils croyaient pouvoir dégager l'homme, 
ils restaient dominés par l'empire de ces deux dernières, et immolaient 
un parti à chacune. Si tous ne croyaient pas, tous cependant sentaient le 
besoin de l'ordre entre les hommes, et, pour appuyer cet ordre humain, 
ils comprenaient la nécessité de reconnaître dans l'univers un ordre 
général et intelligent. C'est la première fois, dans l'histoire du monde, 
que la dissolution de toutes les autorités laissait la société en proie au 
gouvernement des esprits purement systématiques (car les Anglais 
croyaient à des traditions chrétiennes), et ces esprits, qui avaient 
dépassé toutes les idées reçues, adoptaient, conservaient les idées de la 
morale et de Dieu. Cet exemple est unique dans les annales du monde; 
il est singulier, il est grand et beau; l'histoire doit s'arrêter pour en faire 
la remarque. 
Robespierre fut rapporteur dans cette occasion solennelle, et lui seul 
devait l'être d'après la distribution des rôles qui s'était faite entre les 
membres du comité. Prieur, Robert-Lindet, Carnot, s'occupaient 
silencieusement de l'administration et de la guerre. Barrère faisait la
plupart des rapports, particulièrement ceux qui étaient relatifs aux 
opérations des armées, et en général tous ceux qu'il fallait improviser. 
Le déclamateur Collot-d'Herbois était dépêché dans les clubs et les 
réunions populaires, pour y porter les paroles du comité. Couthon, 
quoique paralytique, allait aussi partout, parlait à la convention, aux 
Jacobins, au peuple, et avait l'art d'intéresser par ses infirmités, et par le 
ton paternel qu'il prenait en disant les choses les plus violentes. Billaud, 
moins mobile, s'occupait de la correspondance, et traitait quelquefois 
les questions de politique générale. Saint-Just, jeune, audacieux et actif, 
allait et venait des champs de bataille au comité; quand il avait imprimé 
la terreur et l'énergie aux armées, il revenait faire des rapports 
meurtriers contre les partis qu'il fallait envoyer à la mort. Robespierre 
enfin, leur chef à tous, consulté sur toutes les matières, ne prenait la 
parole que dans les grandes occasions. Il traitait les hautes questions 
morales et politiques; on lui réservait ces beaux sujets, comme plus 
dignes de son talent et de sa vertu. Le rôle de rapporteur lui appartenait 
de droit dans la question qu'on allait traiter. Aucun ne s'était prononcé 
plus fortement contre l'athéisme, aucun n'était aussi vénéré, aucun 
n'avait une aussi grande réputation de pureté et de vertu, aucun enfin, 
par son ascendant et son dogmatisme, n'était plus propre à cette espèce 
de pontificat. 
Jamais occasion n'avait été plus belle pour imiter ce Rousseau, dont il 
professait les opinions, et du style duquel il faisait une étude 
continuelle. Le talent de Robespierre s'était singulièrement développé 
dans les longues luttes de la révolution. Cet être froid et pesant 
commençait à bien improviser; et quand il écrivait, c'était avec pureté, 
éclat et force. On retrouvait dans son style quelque chose de l'humeur 
âpre et sombre de Rousseau, mais il n'avait pu se donner ni les grandes 
pensées, ni l'âme généreuse et passionnée de l'auteur d'_Émile_. 
Il partit à la tribune le 18 floréal (7 mai 1794), avec un discours 
soigneusement travaillé. Une attention profonde lui fut accordée. 
«Citoyens, dit-il en débutant, c'est dans la prospérité que les peuples, 
ainsi que les particuliers, doivent pour ainsi dire se recueillir, pour 
écouter dans le silence des passions la voix de la sagesse.» Alors il 
développe longuement le système adopté. La république, suivant lui, 
c'est la vertu; et tous les adversaires qu'elle avait rencontrés ne sont que 
les vices de tous genres soulevés contre elle, et soudoyés par les rois.
Les anarchistes, les corrompus, les athées, n'ont été que les agens[1] de 
Pitt. «Les tyrans, ajoute-t-il, satisfaits de l'audace de leurs émissaires, 
s'étaient empressés d'étaler aux yeux de leurs sujets    
    
		
	
	
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