Germaine | Page 3

Edmond About
n'��tait venu l'interrompre. Il entra juste �� point pour couper la parole au chasseur, qui ouvrait la bouche pour la premi��re fois. L'assembl��e se dispersa en toute hate; chaque orateur emporta ses instruments de travail, et il ne resta dans la salle des d��lib��rations qu'un de ces balais gigantesques qu'on appelle t��te de loup.
Cependant Marguerite de Bisson, duchesse de La Tour d'Embleuse, cheminait �� pas press��s dans la direction de la rue Jacob. Les passants qui la fr?l��rent du coude en courant donner ou recevoir des ��trennes la trouv��rent semblable �� ces Irlandaises d��sesp��r��es qui pi��tinent sur le macadam des rues de Londres �� la poursuite d'un penny. Fille des ducs de Bretagne, femme d'un ancien gouverneur du S��n��gal, la duchesse ��tait coiff��e d'un chapeau de paille teinte en noir, dont les brides se tordaient comme des ficelles. Une voilette d'imitation, perc��e en cinq ou six endroits, cachait mal son visage et lui donnait une physionomie ��trange. Cette belle t��te, marqu��e de taches blanches d'in��gale grandeur, semblait d��figur��e par la petite v��role. Un vieux cr��pe de Chine, noirci par les soins du teinturier et roussi par les intemp��ries de l'air, laissait tomber tristement ses trois pointes, dont la frange effleurait la neige du trottoir. La robe qui se cachait l��-dessous ��tait si fatigu��e que le tissu ��tait m��connaissable. Il e?t fallu l'examiner de bien pr��s et �� la loupe pour reconna?tre une moire ancienne d��moir��e, lim��e, coup��e dans les plis, effrang��e par en bas, et d��vor��e par la boue corrosive du pav�� de Paris. Les souliers qui supportaient ce lamentable ��difice n'avaient plus ni forme ni couleur. Le linge ne se montrait nulle part, ni au col, ni aux manches. Quelquefois, au passage d'un ruisseau, la robe se relevait �� droite et laissait voir un bas de laine grise, un simple jupon de futaine noire. Les mains de la duchesse, rougies par un froid piquant, se cachaient sous son chale. Elle tra?nait les pieds en marchant, non par une habitude de nonchalance, mais dans la peur de perdre ses souliers.
Par un contraste que vous avez pu observer quelquefois, la duchesse n'��tait ni maigre, ni pale, ni enlaidie en aucune fa?on par la mis��re. Elle avait re?u de ses anc��tres une de ces beaut��s rebelles qui r��sistent �� tout, m��me �� la faim. On a vu des prisonniers qui engraissaient dans leur cachot jusqu'�� l'heure de la mort. A l'age de quarante-sept ans, Mme de La Tour d'Embleuse conservait de beaux restes de jeunesse. Ses cheveux ��taient noirs, et elle avait trente-deux dents capables de broyer le pain le plus dur. Sa sant�� ��tait moins florissante que sa figure, mais c'est un secret qui restait entre elle et son m��decin. La duchesse touchait �� cette heure dangereuse et quelquefois mortelle o�� la femme dispara?t pour faire place �� l'a?eule. Plus d'une fois elle avait ��t�� saisie par des suffocations ��tranges. Elle r��vait souvent que le sang la prenait �� la gorge pour l'��touffer. Des chaleurs inexplicables lui montaient au cerveau par bouff��es, et elle s'��veillait dans un bain de vapeur animale o�� elle s'��tonnait de ne point mourir. Le docteur Le Bris, un jeune m��decin et un vieil ami, lui recommandait un r��gime doux, sans fatigues et surtout sans ��motions. Mais quelle ame sto?cienne aurait travers�� sans s'��mouvoir de si rudes ��preuves?
Le duc C��sar de La Tour d'Embleuse, fils d'un des ��migr��s les plus fid��les au roi et les plus acharn��s contre le pays, fut r��compens�� magnifiquement des services de son p��re. En 1827, Charles X le nomma gouverneur g��n��ral de nos possessions dans l'Afrique occidentale. Il ��tait �� peine ag�� de quarante ans. Pendant vingt-huit mois de s��jour dans la colonie, il tint t��te aux Maures et �� la fi��vre jaune; puis il demanda un cong�� pour venir se marier �� Paris. Il ��tait riche, grace au milliard d'indemnit��; il doubla sa fortune en ��pousant la belle Marguerite de Bisson, qui poss��dait �� Saint-Brieuc soixante mille livres de rente. Le roi signa son contrat le m��me jour que les ordonnances, et le duc se trouva mari�� et destitu�� tout d'un coup. Le nouveau pouvoir l'aurait accueilli volontiers dans la foule des transfuges; on dit m��me que le minist��re de Casimir P��rier lui fit quelques avances. Il d��daigna tous les emplois, par fiert�� d'abord, et autant par une invincible paresse. Soit qu'il e?t d��pens�� en trois ans tout ce qu'il avait d'��nergie, soit que la vie facile de Paris le retint par un attrait irr��sistible, son seul travail pendant dix ans fut de promener ses chevaux au Bois et de montrer ses gants jaunes au foyer de l'Op��ra. Paris ��tait un pays nouveau pour lui, car il avait v��cu �� la campagne sous la f��rule inflexible de son p��re, jusqu'au jour o�� il partit pour le S��n��gal. Il go?ta si tard
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