la nuit et revient à la 
cabane, se délectant à l'avance, à la pensée du plantureux repas qui 
l'attend. 
Il trouve la fausse Tora, en train de faire bouillir la marmite: 
--Tu l'as donc déjà tué? lui dit-il en rentrant. 
--Oui, répond-elle, j'ai pensé que tu aurais faim à ton retour. Tiens! vois 
comme ça sent bon! 
Et, en parlant ainsi, elle soulève le couvercle. De la marmite en 
ébullition, s'échappe une odeur, que le vieillard ne peut s'empêcher de
trouver très étrange! 
Puis, il dépose ses instruments de travail, se lave les mains, s'assied 
devant la minuscule table où il prend ses repas, se fait servir, et 
commence à dévorer avec appétit. Pauvre Gombéiji! ne va pas si vite, 
et ne te délecte pas si fort! Si tu savais ce que tu manges!... A peine 
a-t-il avalé la dernière bouchée, qu'il entend derrière lui un formidable 
éclat de rire. Il se retourne. Quelle n'est pas sa stupeur! Sa vieille n'est 
plus là! A sa place, le blaireau, qu'il avait cru manger! Celui-ci, en effet, 
venait en un clin d'oeil de reprendre sa forme naturelle, et riait à gorge 
déployée: 
--Eh bien, vieux! lui dit-il, était-elle bonne, ta vieille? Car c'est elle que 
tu viens de manger!... Elle m'a détaché, la sotte! Alors, je l'ai tuée, puis 
coupée en morceaux, puis je l'ai fait cuire à ma place, et tu l'as avalée! 
Ah! ah! ah!... 
Et, avant que Gombéiji ait pu revenir de sa surprise, le blaireau fit un 
bond vers la porte et s'enfuit de toute la vitesse de ses jambes. 
Le malheureux vieillard resta longtemps, bien longtemps, sans pouvoir 
se remettre. De désespoir, il se serait volontiers arraché les cheveux, s'il 
en avait eu encore. 
--Pauvre Tora! ne cessait-il de répéter en pleurant! C'est ta bonté qui t'a 
perdue!... Et moi, qui t'ai mangée!... Comment supporter le poids d'une 
pareille honte?... Puis-je survivre à un tel malheur!... Non, il ne me 
reste plus qu'à mourir, comme meurent les samuraï... 
Chacun sait que les samuraï, pour sauver leur honneur, ne croyaient 
pouvoir mieux faire que de s'ouvrir le ventre. C'est donc à ce dernier 
parti que le malheureux vieillard se détermina. 
Il aperçoit à ses pieds le couteau de cuisine, ce même coutelas, dont le 
blaireau s'est servi pour couper en morceaux l'infortunée Tora. Il le 
saisit d'une main tremblante. Puis, tombant à genoux, il prononce la 
suprême prière, la formule sacrée que prononcent les héros qui se 
donnent la mort: «Namu Amida butsu». Alors, rejetant son habit en
arrière, il s'enfonce le couteau dans le ventre, et lentement, de gauche à 
droite, en promène la lame... 
[Illustration: Gombéiji s'enfonça le couteau dans le ventre] 
Mais, ô miracle! voilà qu'au même instant, la cabane s'illumine tout à 
coup d'une clarté mystérieuse. Une forme blanche et transparente 
s'approche du vieillard, étendu sans vie sur le sol... L'apparition touche 
la blessure de sa main diaphane... Du ventre entr'ouvert, pleine de vie et 
souriante, la vieille Tora s'échappe, et la blessure se referme... Puis, le 
fantôme disparaît et la lumière s'évanouit!... 
Les deux vieillards, revenus à la vie, se regardent... Au comble de la 
surprise, ils ne savent d'abord que penser et que se dire... Ils 
comprennent enfin que le ciel est venu à leur secours... Ils tombent à 
genoux, remercient les dieux, pleurent, se félicitent, s'embrassent... 
Le lendemain de ce jour mémorable, les deux époux s'entretenaient 
ensemble sur les moyens de se venger du blaireau qui leur avait fait tant 
de mal. Qu'était, en effet, devenu le blaireau? Il s'était réfugié dans sa 
tanière et, craignant à juste titre les représailles du vieux, il n'osait plus 
en sortir. 
Les deux époux causaient donc ensemble. Tout à coup, un bruit léger 
de pas se fit entendre à la porte de la cabane. Une voix très douce 
demanda la permission d'enter. C'était le lièvre, le joli lièvre blanc qui 
habite dans la montagne, et qui venait leur faire visite. 
Le lièvre n'est pas méchant comme le blaireau! Aussi les deux époux le 
reçurent très poliment. Ils le firent asseoir auprès d'eux, et lui offrirent 
du thé. Alors le vieillard lui raconta comme quoi le blaireau avait 
assommé sa femme et la lui avait fait manger; comment lui, de 
désespoir, s'était ouvert le ventre, qu'une divinité étant alors apparue 
avait rendu la vie à la vieille et guéri sa propre blessure. Ensuite il lui 
parla de leurs projets de vengeance, et lui demanda s'il ne connaîtrait 
pas un moyen de s'emparer du blaireau. 
--Chers amis, répondit le lièvre, après avoir en silence écouté cet
étrange récit, ne vous mettez pas en peine. Vous voulez une vengeance? 
Vous l'aurez. Et c'est moi-même qui m'en charge. Foi de lièvre, vous 
n'attendrez pas longtemps! 
Là-dessus tous les trois se firent les saluts d'usage; le lièvre prit congé 
de ses amis    
    
		
	
	
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