Fables de La Fontaine | Page 2

Jean de La Fontaine
dit: «Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous
deux vous paierez l'amende;
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne
t'ait rien pris
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.»
Le juge
prétendait qu'à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant
un pervers.
Note:
Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la
contradiction, qui est dans le jugement de ce singe, était une chose à
censurer: mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre; et c'est en cela que
consiste le bon mot, selon mon avis. La Fontaine
Les deux Taureaux et une Grenouille
Deux taureaux combattaient à qui posséderait
Une génisse avec
l'empire.
Une grenouille en soupirait.
«Qu'avez-vous?» se mit à lui
dire
Quelqu'un du peuple croassant.
«Eh! ne voyez-vous pas,
dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un; que l'autre, le
chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera
plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur nos
roseaux;
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt
l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé
Madame la Génisse.»
Cette crainte était de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure

S'alla cacher, à leurs dépens:
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas,
on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises de grands.
La Chauve-souris et les deux Belettes
Une chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belettes; et sitôt
qu'elle y fut,
L'autre, envers les souris de longtemps courroucée,


Pour la dévorer accourut.
«Quoi? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous
produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas
souris? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas
belette.
--Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'est pas ma
profession.
Moi souris! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.

Grâce à l'auteur de l'univers,
Je suis oiseau; voyez mes ailes:
Vive
la gent qui fend les airs.»
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait
si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre
étourdie
Aveuglément va se fourrer
Chez une autre belette, aux
oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La dame
du logis avec son long museau
S'en allait la croquer en qualité
d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage:
«Moi, pour
telle passer! Vous n'y regardez pas
Qui fait l'oiseau? C'est le plumage.

Je suis souris: vivent les rats!»
Jupiter confonde les chats!»
Par
cette adroite répartie
Elle sauva deux fois sa vie.
Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeant,
Aux dangers ainsi
qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens,
«Vive
le Roi! vive la ligue!»
L'Oiseau blessé d'une Flèche
Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa
triste destinée,
Et disait, en souffrant un surcroît de douleur:

«Faut-il contribuer à son propre malheur!
Cruels humains! Vous tirez
de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles.
Mais ne
vous moquez point, engeance sans pitié:
Souvent il vous arrive un
sort comme le nôtre.
Des enfants de Japet toujours une moitié

Fournira des armes à l'autre.»
La Lice et sa Compagne
Une lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si
pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa compagne consent
De lui prêter

sa hutte, où la lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne
revient.
La lice lui demande encore une quinzaine;
Ses petits ne
marchaient, disait-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.
Ce
second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son
lit.
La lice cette fois, montre les dents, et dit:
«Je suis prête à sortir
avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.»
Ses enfants
étaient déjà forts.
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,
Il faut que l'on en vienne aux
coups;
Il faut plaider, il faut combattre.
Laissez-leur un pied chez
vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
L'Aigle et l'Escarbot
L'aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier
s'enfuyait au plus vite.
Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin.

Je laisse à penser si ce gîte
Était sûr; mais où mieux?
Jean Lapin
s'y blottit.
L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L'escarbot
intercède et dit:
«Princesse des oiseaux, il vous est fort facile

D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux;
Mais ne me faites pas
cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,

Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux:
C'est mon voisin,
c'est mon compère.»
L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,

Choque de l'aile l'escarbot,
L'étourdit, l'oblige à se taire,
Enlève
Jean Lapin. L'escarbot indigné
Vole au nid de l'oiseau, fracasse en
son absence,
Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce espérance:

Pas un seul ne fut épargné.
L'aigle étant de retour et voyant ce
ménage,
Remplit le ciel de cris: et pour comble de rage,
Ne sait sur
qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain: sa plainte au
vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.

L'an
suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps,
fait faire aux oeufs le saut.
La mort de Jean lapin derechef est vengée.


Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en
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