sa pipe de terre,
Il dit en s'adressant au 
modeste notaire:
«Allons, père Leblanc, qu'avez-vous de nouveau?
«Peut-être savez-vous ce qu'on dit au hameau
«De ces fiers bâtiments 
venus de l'Angleterre?»
--«Je sais fort peu de chose et fais mieux de 
me taire,
Lui répondit Leblanc d'un ton de bonne humeur:
«Il est 
vrai qu'il circule une grande rumeur,
«Mais comme mon avis n'est 
jamais le plus sage
«Je dirai seulement ce qu'on dit au village,
«Je 
ne puis toutefois croire que ces vaisseaux
«Viennent sur notre rive 
apporter des fléaux;
«Car nous sommes en paix; et pourquoi 
l'Angleterre
«Ainsi nous ferait-elle éprouver sa colère?»
--«Nom de 
Dieu!» s'écria le bouillant forgeron,
Qui parfois décochait un sonore 
juron,
«Faut-il donc regarder toujours en toute chose,
«Le pourquoi, 
le comment? Il n'est rien que l'on n'ose!
«L'injustice est partout et 
personne n'a tort:
«Tout le droit maintenant appartient au plus fort.»
Sans paraître observer la chaleur de Basile
Leblanc continua d'une 
voix fort tranquille:
«L'homme est injuste, mais le bon Dieu ne l'est 
pas:
«La justice triomphe à son tour ici-bas.
«Et pour preuve je vais 
vous redire une histoire
«Qui ne s'efface point de ma vieille mémoire:
«Elle me consolait de mon destin fatal
«Lorsque j'étais captif au 
fort de Port Royal.
«Un vieillard aimait bien cette histoire touchante:
«A ceux qui maltraitait quelque langue méchante
«D'une voix tout 
émue il allait la conter:
«Je voudrais comme lui pouvoir la répéter: 
--«Sous le ciel africain, dans une ville antique
«On voyait autrefois, 
sur la place publique,
«Une haute colonne au piédestal d'airain
«Qu'avait fait élever un puissant souverain,
«Et sur cette colonne une 
statue en pierre,
«Figurait la justice impartiale et fière;
«Une large 
balance, un glaive menaçant
«Etaient ses attributs, et disaient au 
passant
«Que dans cette cité la suprême justice
«De l'opprimé 
toujours était la protectrice.
«Cependant la balance, au fond de ses 
plateaux,
«Voyait chaque printemps, bien des petits oiseaux
«Bâtir 
leur nids moelleux en chantant sans craindre
«Le glaive flamboyant
qui semblait les atteindre.
«Mais petit à petit se corrompit la loi:
«Aux misères du pauvre on n'ajouta plus foi,
«Et et le faible, sans 
cesse en butte à l'ironie,
«Dut subir du plus fort la lâche tyrannie.
«On afficha le vice, et chaque tribunal
«Outragea l'innocence et 
protégea le mal. 
«Un jour il arriva que certaine duchesse
«Perdit un collier neuf d'une 
grande richesse:
«N'ayant pu le trouver elle voulu, du moins,
«Venger avec éclat et sa perte et ses soins.
«Elle accusa de vol, en 
face de la ville.
«Une pauvre orpheline, une pieuse fille,
«Qui 
depuis de longs séjours la servait humblement.
«Le procès, pour la 
forme, eut lieu bien promptement
«Et le juge pervers condamna la 
servante
«A mourir au gibet d'une mort infamante.
«Autour de 
l'échafaud on vit les curieux,
«Pressés, impatients, inonder tous les 
lieux.
«La jeune fille vint, calme mais abattue,
«Subir son triste sort 
eu pied de la statue.
«Le bourreau la saisit. Au moment solennel
«Où son coeur s'élevait vers le Juge Eternel,
«Un orage mugit; 
l'impitoyable foudre
«Ebranle la colonne et la réduit en poudre,
«Et 
la balance tombe avec un sourd fracas;
«Or dans un des plateaux qui 
se brisent en bas
«On voit un nid brillant... c'était un nid de pie
«Dans lequel s'enlaçait avec coquetterie
«Parmi les brins de foin, le 
collier précieux...
«C'est ainsi qu'éclata la justice des cieux!» 
Quand le père Leblanc eut fini son histoire
Basile ne dit mot mais ne 
parut rien croire;
Il n'en concluait point qu'on n'avait désormais
Nul 
motif d'avoir peur des navires anglais.
Il voulait répliquer et manquait 
de langage.
Ses pensers demeuraient empreintes sur son visage
Comme sur une vitre, on voit dans les hivers,
La vapeur se geler sous 
mille aspects divers. 
Alors Evangéline, à la braise de l'âtre,
S'empresse d'allumer la lampe 
au pied d'albâtre,
Et tout l'appartement luisant de propreté
Se 
remplit aussitôt d'une vive clarté.
Ensuite elle s'en vient déposer sur la 
table
Un pot d'airain rempli de cidre délectable.
Tandis que le
notaire étalant son papier,
Ecrit d'une main prompte, et sans rien 
oublier
Les noms des contractants, la date et puis leur âge,
La dot 
qu'Evangéline apporte en mariage
De tous les divers points sans en 
oublier un.
Et quand tout fut écrit comme voulait chacun,
Que le 
sceau de la loi fut mis, brillant et large,
Comme le soleil levant sur le 
blanc de la marge,
Le vieux fermier tira sa bourse de chamois
Puis 
offrit au notaire au moins deux ou trois fois
En bel et bon argent le 
prix de son ouvrage.
Le notaire charmé, forma, selon l'usage,
Des 
voeux pour le bonheur du couple fiancé;
Puis il prit sur la table après 
s'être avancé,
Le large pot d'airain où fermentait la bière,
Remplit, 
d'un air joyeux la coupe tout entière,
Et but à la santé des gens de la 
maison.
Chacun prit à son tour l'écumeuse boisson.
Du cidre sur sa 
lèvre il essuya l'écume;
Il prit son large feutre, il prit sa longue plume,
Son rouleau de papier et donna le bonsoir.
Les amis qui restaient 
vinrent alors s'asseoir
En cercle devant l'âtre où pétillaient les 
flammes
Evangéline prit le damier et les dames
Qu'elle alla 
présenter aux paisibles vieillards.
La lutte commença. Leurs anxieux 
regards
Voyaient avec plaisir les pions dresser un siège,
Et les 
dames tomber dans un perfide piège.
Cependant l'un et l'autre ils 
s'amusaient beaucoup
D'une manoeuvre heureuse ou d'un malheureux 
coup.
Les fiancés assis dans la    
    
		
	
	
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