la prospérité des 
colons français arme une flotte, choisit les plus envieux de ses enfants 
et les plus barbares de ses soldats, et les lâche comme une meute 
enragée sur l'heureuse colonie. On appelle l'hypocrisie et la trahison au 
secours de la violence. Comme toujours la cruauté est peureuse. Les 
Acadiens surpris, dépouillés de leurs armes, sont enchaînés comme des 
criminels, embarqués pêle-mêle sur des vaisseaux Anglais, et 
transportés sur les bords étrangers où les attendent la faim et le 
dénuement, la persécution et la mort: car bien peu d'entre les exilés 
d'Acadie ont pu comme le père Basile Lajeunesse, l'un des héros du 
poème, chanter l'hospitalité généreuse, la richesse et la liberté de la 
grande colonie Anglaise. La plus part au contraire ont été repoussé avec
malice, bafoués et maltraités. Dans la Pennsylvanie, on a voulu réduire 
en esclavage ces malheureux déportés. Ce n'est pas ainsi aujourd'hui 
que l'exilé est accueilli dans la grande république. 
Quelle a donc été lamentable la destinée de ce pauvre petit peuple 
Acadien! et par quel prodige subsiste-t-il encore, disséminé, il est vrai, 
mais toujours reconnaissable, toujours le même que le bon peuple 
chanté par Longfellow. Aujourd'hui les barrières qui nous séparaient de 
ce peuple sont tombées. Nous n'avons plus qu'une même patrie, le 
Canada. La Providence qui fait surgir les nations et qui les fait entrer 
dans le néant, a sans doute les yeux ouverts sur nous. Elle ne nous a pas 
dirigés pendant trois siècles à travers les écueils et les dangers de toutes 
sortes pour ensuite nous laisser périr tout-à-coup. Un peuple qui aime 
sa langue, sa foi et ses coutumes jusqu'au martyre peut bien être 
accablé, vaincu, tyrannisé, mais il ne saurait périr tout entier. 
L. PAMPHILE LEMAY 
Québec, 1er Juillet 1870. 
L'on me saura gré peut-être de ce que je reproduits ici la lettre vraiment 
flatteuse que le grand poète Américain m'a fait l'honneur de m'adresser, 
lorsque parut ma première traduction d'Evangéline. 
Cambridge, près Boston, 27 Octobre 1865 
Cher Monsieur, 
Permettez-moi de vous féliciter de la publication de votre ouvrage et 
des heureuses pensées qui s'y trouvent si élégamment exprimées, ainsi 
que du talent poétique et du vif sentiment de la nature qu'il révèle. 
Mais laissez-moi surtout vous remercier de cette partie de votre livre 
que vous avez bien voulu consacrer à la traduction d'Evangéline. Je 
vous dois la plus grande reconnaissance pour cette marque de votre 
bienveillance, non-seulement parce que vous avez bien voulu faire 
choix de cette oeuvre pour sujet de traduction, mais encore parce que 
vous avez rempli cette tâche toujours difficile, avec tant d'habileté et de
succès. 
Je n'ai qu'une seule réserve à faire: vous faites mourir Evangéline: 
«Elle avait terminé sa douloureuse vie.» 
Cependant, je ne vous querellerai pas pour cela. Mon but n'est pas de 
critiquer, mais de vous remercier et de vous dire combien je suis 
heureux de l'honneur que vous m'avez fait. 
Espérant que le succès de votre livre surpasse même vos plus grandes 
espérances. 
Je demeure, cher monsieur, 
votre obéissant serviteur, 
Henry W. Longfellow. 
ÉVANGÉLINE 
Salut, vieille forêt! Noyés dans la pénombre
Et drapés fièrement dans 
leur feuillage sombre
Tes sapins résineux et tes cèdres altiers
Qui se 
bercent au vent sur le bord des sentiers
Jetant, à chaque brise, une 
plainte sauvage.
Ressemblant aux chanteurs qu'entendit un autre âge,
Aux Druides anciens dont la lugubre voix
S'élevait prophétique au 
fond d'immenses bois!
Et l'océan plaintif vers ses rives brumeuses
S'avance en agitant ses vagues écumeuses.
Et de profonds soupirs 
s'élèvent de ses flots
Pour répondre, ô forêt, à tes tristes sanglots! 
Vieille forêt, salut! Mais tous ces coeurs candides
Qu'on voyait 
tressaillir comme les daims timides
Que le cor du chasseur a réveillés 
soudain.
Que sont-ils devenus! Je les appelle en vain!...
Et le joli 
village avec ses toits de chaume?
Et la petite église avec son léger 
dôme?
Et l'heureux Acadien qui voyait ses beaux jours
Couler 
comme un ruisseau dont le paisible cours
Traverse des forêts qui le
voilent d'ombrage,
Mais réfléchit aussi du ciel la pure image?
Partout la solitude, aux foyers comme aux champs!
Plus de gais 
laboureurs! la haine des méchants,
Un jour, les a chassés au bord 
d'une grève
Le sable frémissant que la brise soulève
Roule en noirs 
tourbillons jusqu'au plus haut de l'air
Et sème sur les flots de la 
bruyante mer!
Le hameau de Grand Pré n'est qu'une souvenance;
Le 
saule y croît, le merle y siffle sa romance. 
O vous tous qui croyez à cette affection
Qui s'enflamme et grandit 
avec l'affliction;
O vous tous qui croyez au bon coeur de la femme,
A la force, au courage, à la foi de son âme.
Ecoutez un récit que les 
bois d'alentour
Et l'océan plaintif redisent tour à tour:
Ecoutez une 
histoire aussi belle qu'ancienne;
Une histoire d'amour de la terre 
Acadienne! 
PREMIÈRE PARTIE 
I 
Sous le ciel d'Acadie, au fond d'un joli val,
Et non loin des bosquets 
qui bordent le cristal
Que déroule, tantôt sous les froides bruines,
Tantôt sous le soleil, le grand Bassin des Mines,
On aperçoit encor,    
    
		
	
	
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