voulu montrer aussi ce qui peut être condamnable dans la rigueur 
que la société exerce contre elle; et, quoique je vienne de développer 
avec impartialité les motifs de cette rigueur, je crois que dans les 
grandes villes surtout les jugemens que l'on porte sur les actions et les 
caractères n'ont pas pour base les véritables principes de la moralité. La 
première des vertus, la plus touchante des qualités, c'est la bonté; il me 
semble que nous avons un tel besoin de la pitié les uns des autres, que 
ce que nous devons craindre avant tout, ce sont les êtres qui peuvent se 
résoudre à faire du mal, ou même ceux qui ne sont pas impatiens de 
soulager la peine, dès qu'ils en ont le pouvoir. Or pour condamner une 
action, pour plaindre, approuver ou blâmer un caractère, il me semble 
qu'il faudroit toujours se demander quel rapport a cette action ou ce 
caractère avec le principe de tout bien, la bonté. Je sais qu'une personne 
imprudente peut faire du mal sans le vouloir, mais il est si facile de la 
ramener, mais on est si certain de son repentir et de son besoin de 
réparer, qu'il est impossible d'assimiler ce genre de tort à la moindre 
action réfléchie qui auroit pour but d'affliger qui que ce fût. Il me 
semble que toutes les pages de Delphine rendent à la bonté le culte qui
lui est dû, et sous ce rapport encore il me semble que cet ouvrage est 
utile; car après une longue révolution, les coeurs se sont singulièrement 
endurcis, et cependant jamais on n'eut plus besoin de cette sympathie 
pour la douleur qui est le véritable lien des êtres mortels entre eux. 
Il est si vrai que la première qualité des hommes est la bonté, que dans 
les grandes crises de la destinée, lorsque le malheur fait taire et 
l'amour-propre et l'envie, ce qu'on cherche d'abord c'est la touchante 
qualité qui apaise les fureurs de l'homme et conserve dans son coeur 
quelques rayons de la miséricorde éternelle. Qui n'a pas éprouvé, dans 
les temps orageux où nous avons vécu, que notre premier regard jeté 
sur un homme puissant étoit pour démêler dans sa physionomie une 
expression de bonté? et parmi des juges silencieux, une sorte de 
douceur dans les traits ou d'attendrissement dans les regards nous 
désignoit d'avance notre semblable. Ce que tous les hommes éprouvent 
dans le malheur, les âmes tendres le sentent habituellement; il n'est 
point pour elles de prospérités qui les rendent invulnérables, et dans les 
momens les plus heureux de leur vie elles savent combien aisément la 
pitié pourroit leur devenir nécessaire. 
C'est donc dans la bonté et la générosité, dans ces deux qualités qui se 
tiennent par les plus nobles liens et dont chacune est le complément de 
l'autre, que consiste la véritable moralité des actions humaines, savoir 
résister aux forts et protéger les foibles: Parcere subjectis et debellare 
superbos. Ces anciens mots renferment tout ce qu'il y a de divin dans le 
coeur de l'homme. Que mon fils soit bon et fier, peuvent dire les mères, 
et l'indulgence du ciel couvrira le reste! mais l'indulgence des hommes 
n'est pas si facile à obtenir, et quelquefois la puissance de la société 
lutte contre les meilleurs mouvemens naturels. Souvent un homme est 
méconnu pour ses qualités même; plus souvent une femme est perdue 
par un sentiment d'autant plus vrai qu'elle étoit moins maîtresse de le 
cacher, d'autant plus généreux qu'elle y sacrifioit tous les intérêts de sa 
vie; et celle qui, assise en paix au milieu de son cercle, se sera permis 
d'accuser le malheur, verra sa considération augmentée par 
l'impitoyable preuve de sévérité qu'elle aura nonchalamment donnée. 
Ce sont ces bizarres contrastes des jugemens de l'opinion que le roman 
de Delphine est destiné à faire ressortir; il dit aux femmes: ne vous fiez
pas à vos qualités, à vos agrémens; si vous ne respectez pas l'opinion, 
elle vous écrasera. Il dit à la société: ménagez davantage la supériorité 
de l'esprit et de l'âme; vous ne savez pas le mal que vous faites et 
l'injustice que vous commettez, quand vous vous laissez aller à votre 
haine contre cette supériorité, parce qu'elle ne se soumet pas à toutes 
vos lois; vos punitions sont bien disproportionnées avec la faute, vous 
brisez des coeurs, vous renversez des destinées qui auroient fait 
l'ornement, du monde; vous êtes mille fois plus coupable à la source du 
bien et du mal, que ceux que vous condamnez. 
Il y a parmi les personnes qui vivent dans l'obscurité beaucoup de 
vertus souvent bien supérieures à toutes celles qu'accompagne l'éclat; 
mais il y a aussi une espèce de gens médiocres qui sont le vrai fléau des 
esprits remarquables et des âmes imprudentes et généreuses: ils tendent 
leurs fils imperceptibles pour enlacer tout ce qui prend un    
    
		
	
	
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