rôle de 
père contre celui de mari.... Quelle drôle d'idée a eue là mon vieux 
camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera 
pas. Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours.... 
Au fond, le brave homme avait besoin de réfléchir profondément pour 
chasser le scrupule qui embarrassait sa pensée. 
L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi privé 
de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de 
dévouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants. 
Jeanne et Raymond vivaient à l'écart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait 
jamais consenti à déserter la cabane où s'était écoulée son enfance. 
Mais la communauté du malheur avait établi entre eux une prompte et 
vive amitié. 
En les regardant l'un près de l'autre, Talbot s'était dit plus d'une 
fois:--Quel gentil ménage tout de même cela ferait!... 
L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un 
sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se trahir, 
ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincèrement épris de 
Jeanne, Raymond dut se résoudre à limiter ses apparitions chez le 
pilote.
Ce dernier n'y fit guère attention: le métier les réunissait souvent au 
dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle 
devint triste; ses joues, fraîches et roses, se couvrirent d'une pâleur 
inquiétante. 
--La petite est bien sûr malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait 
Jeanne qui toujours s'efforçait de dissiper par un sourire l'inquiétude du 
vieux matelot. 
Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand 
l'accident dont j'ai parlé les réunit de nouveau. 
 
III 
Au chevet du lit où le jeune homme s'était assoupi, Jeanne restait 
silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille 
qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle écoutait 
la respiration entrecoupée du matelot; elle n'osait à peine remuer, 
comme si le plus léger bruit eût pu troubler le sommeil de Raymond. 
Mais son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait à coups 
précipités sous son corsage. 
Bientôt le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles 
confuses sortirent de ses lèvres. Jeanne, inquiète, se pencha sur lui. Une 
vive rougeur couvrit son front et ses joues: c'était son nom, qu'en rêvant, 
Raymond redisait avec amour. 
--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser 
dans une profonde extase. 
Elle, restait penchée, palpitante, et belle à ravir sous le pourpre de ses 
traits. Raymond ouvrit les yeux: 
--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas rêvé!... 
Puis, revenant à la réalité:--Oh! que je souffre!...
La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de 
douleur cachée: 
--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforçant de vaincre 
son trouble. 
--Oh! oui, beaucoup, là, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je 
vous aime!... 
La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses 
mains. 
--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc 
offensée?... 
Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de 
bonheur éclairer ses larmes. 
--Vous aussi, vous m'aimez!--s'écria-t-il en se levant, et tombant aux 
genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc 
permis cette fatalité!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon âme,... 
et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis coupable en 
vous aimant... Tout à l'heure, j'ai cru que j'allais mourir. J'ai vu repasser 
devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon père, mes frères,... 
ma mère, si douce et si bonne... et j'ai senti combien j'étais seul sur 
cette terre maintenant que tous ces êtres aimés sont partis, à présent 
qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant auprès de vous, non 
pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon coeur,... 
comme époux!... Tenez, même ce que je vous dis là, Jeanne, est 
sacrilège. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur à la 
révolte contre l'époux qui vous est destiné ... je suis coupable,... oh! 
bien coupable,... de prendre sa place à vos genoux!... 
Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la 
porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derrière eux. 
Le pilote était entré sans bruit. Il s'était arrêté court en les voyant, et il 
écoutait avec une émotion croissante.
Raymond continua: 
--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre 
coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre ami.... 
Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnête marin qui vous 
aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin, bien loin..., 
et je tâcherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon amour.... Aimez 
l'époux qui vous est destiné, aimez-le comme il en est digne ... comme 
le ciel veut que vous l'aimiez! 
Un léger bruit l'interrompit; c'était le pilote qui pleurait. Les deux 
jeunes gens levèrent les yeux et    
    
		
	
	
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